Parcours Frontières

La fron­tière. Une ligne que l’on ne fait que traverser. Or, pour une partie des indi­vidus en migra­tion aujourd’hui, elle est plutôt le lieu de l’attente. L’élan de l’exil butte là, contre les murs et les barbelés, physiques comme symbo­liques. En Europe, aux États-Unis, et ailleurs dans le monde, sa fonc­tion de filtrage y est plus que jamais active. Barrière contre les indé­si­rables, le dispo­sitif poli­cier et mili­taire qui s’y déploie cible, enferme, entrave la liberté de se mouvoir des « illégaux ».

Ainsi, des campe­ments infor­mels aux diffé­rents établis­se­ments d’enfermement admi­nis­tratif, la fron­tière est un endroit où l’on reste. Où l’on attend d’aller ailleurs, de rejoindre un autre pays. Où l’on connaît la peur d’être expulsé vers l’endroit que l’on a fui.

Dans cette traque des indé­si­rables, son fran­chis­se­ment devient route périlleuse, voire mortelle. Des sommets hauts et escarpés des Alpes, aux sentiers arides du désert de l’Arizona, la fron­tière peut devenir syno­nyme de mort pour celles et ceux qui tentent de passer de l’autre côté.

Regrou­pant des réalités complexes, mouvantes, la fron­tière constitue un objet central dans la réflexion actuelle en sciences sociales sur les migra­tions contem­po­raines, qui se trouve loin d’être épuisé.

Pas éton­nant alors que la produc­tion filmique qui s’y inté­resse (hier et aujourd’hui) soit si riche. Les trois films présentés sur ce thème donnent à voir les réalités humaines aussi diverses que contras­tées qui peuplent la fron­tière. Avec De l’autre côté, Chantal Akerman filme la violence de la fron­tière entre les États-Unis et le Mexique. Une histoire « vieille comme le monde », dans laquelle des personnes migrantes, en majo­rité venues du Mexique, s’acheminent, au péril de leur vie, vers l’autre côté, terri­toire rêvé qui leur est profon­dé­ment hostile.

À l’inverse, Avi Mograbi montre la fron­tière dans sa dimen­sion d’arrêt brutal du parcours d’exil. Non loin du centre de déten­tion israé­lien de Holot, qui « accueille » des deman­deurs d’asile déboutés, le réali­sa­teur accom­pagné de Chen Alon, orga­nisent un atelier de théâtre avec les personnes déte­nues dans ce camp. Collec­ti­ve­ment, ils inter­rogent ainsi la poten­tielle poro­sité de la fron­tière, plus imma­té­rielle cette fois, entre opprimés et oppresseurs.

En Europe, la fron­tière franco-italienne a été ces dernières années le théâtre d’un contrôle poli­cier effectué sans relâche. Devenue mur, elle a pour­tant vu se déve­lopper un fort réseau citoyen de soli­da­rité envers les personnes migrantes. Déplacer les montagnes, de Laetitia Cuve­lier et Isabelle Mahenc, porte notre regard sur le haut de cette fron­tière, au creux de la vallée alpine du Brian­çon­nais. Point de passage des exilé.e.s parti­cu­liè­re­ment mis en lumière ces dernières années, la diffi­culté, la dange­ro­sité, souvent l’impossibilité du passage s’y sont accom­pa­gnés d’un élan de solidarité.

Judith Marcou est docto­rante en anthro­po­logie (EHESS). Elle travaille sur l’ex­pé­rience migra­toire aux fron­tières, notam­ment au sein des lieux d’enfermement.

De l’autre côté 

Réalisé par Chantal Akerman 

Belgique-France, 2002, 1h39, docu­men­taire, VF, Roches noires productions

« C’est une histoire vieille comme le monde. Il y a des pauvres qui, au mépris de leur vie, parfois doivent tout quitter pour tenter d’aller survivre, vivre ailleurs. Mais ailleurs on n’en veut pas. Et si on en veut, c’est pour leur force de travail. Ils sont passés pendant des années par San Diego mais le service d’immigration améri­cain qui se sert des tech­no­lo­gies les plus avan­cées pour les arrêter a réussi à arrêter le flux des illé­gaux dans cette partie de la Cali­fornie et à le déporter dans les régions déser­tiques et monta­gneuses de l’Arizona. Là, ils ont cru que les diffi­cultés, les dangers, le froid et la chaleur les arrêteraient. »

En présence de Damien Simon­neau, docteur en science poli­tique. En 2015, il a soutenu une thèse “Il nous faut une barrière !”. Socio­logie poli­tique des mobi­li­sa­tions pro-barrière en Israël et en Arizona.

Entre les frontières 

Réalisé par Avi Mograbi 

Israël-France, 2016, 1h25, docu­men­taire, VOSTFR, Météore films

Le film part à la rencontre de deman­deurs d’asile afri­cains que l’État d’Israël retient dans un camp en plein désert du Néguev. Par le biais d’un atelier inspiré du « Théâtre de l’opprimé », Avi Mograbi inter­roge le statut de réfugié. Quel est l’élément déclen­cheur qui pousse un jour ces hommes et ces femmes à aban­donner tout ce qu’ils possèdent pour plonger vers l’inconnu ? Pour­quoi Israël, terre des réfu­giés, refuse de consi­dérer le sort de ces exilés que la guerre et les persé­cu­tions ont jetés sur les routes ?

En présence de Damien Simon­neau, docteur en science poli­tique. En 2015, il a soutenu une thèse “Il nous faut une barrière !”. Socio­logie poli­tique des mobi­li­sa­tions pro-barrière en Israël et en Arizona.

Déplacer les montagnes 

Réalisé par Laetitia Cuvelier et Isabelle Mahenc 

France, 2019, 1h20, docu­men­taire, VF, Un thé dans la neige

« Dans nos montagnes, là où nous avons choisi de vivre, nous voyions des espaces de liberté et des invi­ta­tions au voyage. Nous avons vu une fron­tière se dessiner, de la violence contre les personnes exilées, des drames et des élans de soli­da­rité. Nous avons vu des portes s’ouvrir, des liens se nouer à la croisée de ces chemins d’exil et d’hospitalité. Nous avons eu envie de faire raconter cette aven­ture par ceux qui arrivent et celles et ceux qui accueillent dans les vallées du Briançonnais. »

En présence de Michel Agier, anthro­po­logue, auteur de L’Étranger qui vient. Repenser l’hos­pi­ta­lité (Seuil, 2018).