Françoise Bahoken, géographe, Emeline Zougbédé, sociologue, Ségolène Barbou des Places, juriste, Michel Agier, anthropologue
Certaines voix déplorent régulièrement que la souveraineté de la France en matière de gouvernance des migrations est contrainte par un sérail de conventions internationales. C’est oublier que la France, loin d’être le seul pays des droits de l’homme, conclut aussi des accords de réadmission pour le renvoi des personnes étrangères dans leur pays d’origine.
Carte 1. La France n’est pas le seul pays des droits de l’homme
« La France n’est pas le seul pays des droits de l’homme », comme on aurait pu s’y attendre, c’est le constat qui s’impose après lecture de cette carte : nombre de pays d’Afrique, notamment, disposent également d’instruments juridiques liés aux droits humains, bien que dans une moindre mesure en raison du caractère précurseur de la France dans le domaine.
En effet, avec dix-sept des dix-huit instruments ratifiés[1]Rappelons que le fait de « ratifier » un traité ou une convention désigne l’acte international par lequel un État indique son consentement à être lié juridiquement par ce traité ou cette convention., la France forme avec d’autres pays, particulièrement ceux d’Amérique du Sud, un système de promotion de valeurs et de principes humanistes, à visée universaliste, érigé depuis l’après-guerre et consolidé dans les années 1980 par l’adoption de différents protocoles. C’est aussi ce que met en avant la liste des traités et les dates d’entrée en vigueur qui y sont mentionnées, ainsi que le diagramme des principales conventions sur les droits humaines et la protection des personnes.
Carte 2. La conclusion des accords de réadmission par la France : une pratique ancienne
En contrepoint, on peut lire que les traités internationaux ne sont pas seulement des textes qui contraignent la France à accepter plus d’étrangers et à les protéger. En matière de gouvernance mondiale des migrations, et notamment dans la lutte contre l’immigration irrégulière, la France a signé un nombre significatifs d’accords de réadmission avec certains pays tiers : 43 accords ont ainsi été conclus depuis les années 1990, selon un rapport de l’Assemblée nationale sur Immigration, Asile, Intégration. Il convient de noter que ces accords sont signés avec des pays qui sont localisés dans le voisinage « européen » de la France (Suisse exclue), en Amérique du Sud, en Afrique subsaharienne, avec des états liés par des relations historiques coloniales, en Afrique centrale (Cameroun, Gabon, République du Congo) ou encore en Afrique de l’Ouest (Burkina-Faso, Sénégal, Gambie).
Notons également que, si l’activité législative de la France en matière d’accords de réadmission avec des pays tiers s’est intensifiée en une décennie (de la fin des années 1990 à la fin des années 2000), ces accords sont davantage conclus entre l’Union européenne (UE) et les pays tiers à partir des années 2010.
Carte 3. Les nouveaux accords de réadmission : le relais de l’Union européenne
L’UE prend en effet le relais de la France dans cette signature d’accords de réadmission. Ces accords concernent d’abord des pays situés en périphérie de l’Europe (à l’Est : Biélorussie, Ukraine, Moldavie) et plus loin avec la Fédération de Russie, ensuite le Sud-Est, sur le pourtour méditerranéen (Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Macédoine et Albanie). Il y a enfin des accords avec la Turquie, pays de transit des migrations internationales dirigées vers le Nord et certains pays Africains tels la Côte d’Ivoire ou la Guinée.
Aussi, au nom de quoi la France conviendrait-elle à se retirer des conventions internationales et européennes quand elle s’inscrit au cœur d’une Europe forteresse, qu’elle participe chaque jour un peu plus à construire[2]Voir l’article de C. Martel et d’A. Banos de ce numéro. ?
C’est, en effet, ce que montre encore plus récemment le projet, bien avancé, d’un accord de réadmission entre la France et le Maroc pour les mineur·es isolé·s. Dans ce jeu de diables qui prive de libertés, la France fait, par moments, figure de précurseur.
Pour aller plus loin
- Beaujeu, M. 2009. « Vers une gouvernance mondiale des migrations : enjeux, réalités et perspectives », Migrations Société, vol. 121, n° 1, p. 147–158. DOI : 10.3917/migra.121.0147. URL : https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2009–1‑page-147.htm.
- El-Qadim, N. 2015. Le Gouvernement asymétrique des migrations. Maroc/Union européenne, Paris, Dalloz.
- El Qadim, N. 2021. « Les politiques migratoires européennes : à la recherche d’un impossible compromis ? », Migrations Société, vol. 186, n° 4, p. 11–27. DOI : 10.3917/migra.186.0011. URL : https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2021–4‑page-11.htm.
- MIGREUROP, 2017. Atlas des migrants en Europe. Approche critique des politiques migratoires, sous la direction d’ Olivier Clochard, Armand Colin.
Plus d’infos sur France Culture – URL : https://www.franceculture.fr/oeuvre/atlas-des-migrants-en-europe-geographie-critique-des-politiques-migratoires. - Wihtol de Wenden, C. (dir.) 2017. La question migratoire au XXIe siècle. Migrants, réfugiés et relations internationales, Presses de Sciences Po, p. 151–204.
Les auteurs
Françoise Bahoken est chargée de recherches en géographie à l’Université Gustave Eiffel, rattachée au département Aménagement, Mobilités et Environnement et associée au laboratoire Géographie-Cités CNRS UMR 8504.
Emeline Zougbédé est coordinatrice scientifique du département POLICY de l’Institut Convergences Migrations.
Ségolène Barbou des Places est professeure de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre de l’École de droit de la Sorbonne et chercheuse à l’Institut de recherche en droit international et européen de la Sorbonne (Iredies, EA 4536). Elle est fellow de l’Institut Convergences Migrations.
Michel Agier est directeur d’étude à l’EHESS, rattaché au Centre d’étude des mouvements sociaux et directeur de recherche à l’IRD. Il est directeur du département POLICY de l’Institut Convergences Migrations.
Notes[+]
↑1 | Rappelons que le fait de « ratifier » un traité ou une convention désigne l’acte international par lequel un État indique son consentement à être lié juridiquement par ce traité ou cette convention. |
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↑2 | Voir l’article de C. Martel et d’A. Banos de ce numéro. |
Citer cet article
Françoise Bahoken, Emeline Zougbédé, Ségolène Barbou des Places & Michel Agier, « « France, pays des droits de l’homme ». Ce qu’en disent les conventions et accords », in : Emeline Zougbédé, Michel Agier & Ségolène Barbou des Places (dir.), Dossier « Et si la France se retirait des conventions internationales ? », De facto [En ligne], 32 | Mars 2022, mis en ligne le 4 avril 2022. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2022/03/05/defacto-032–04/
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