37 | Mars 2024
Intimité, au cœur des migrations
La migration reconfigure les conditions économiques, politiques, administratives et sociales d’existence des personnes qui choisissent ou sont forcées de quitter leur pays. Il leur est souvent difficile d’échapper aux regards extérieurs et de se soustraire aux pressions des régimes migratoires de plus en plus contraignants et intrusifs, au point d’affecter leur intimité. L’intime et la migration sont ainsi intrinsèquement liés. Ce numéro de De facto explore l’intimité, ses contours et ses formes pour analyser le fait migratoire au-delà du clivage public-privé. Il s’agit de considérer l’intime comme point de départ afin d’appréhender l’ensemble des rapports de force qui se jouent à plusieurs échelles et entre différents acteurs durant les parcours migratoires. L’intime – ses usages parfois stratégiques, sa volonté de préservation et ses changements – apparaît ainsi comme la métonymie des processus de modification statutaire, identitaire et affective engendrés par la migration. En somme, il s’agit de se demander ce que l’intimité fait à la migration et ce que la migration fait à l’intimité.
L’anthropologue Altaïr Despres revient tout d’abord sur la façon dont l’intimité est travaillée par des processus de mondialisation touristique. Elle détaille particulièrement le concept d’« intimités transnationales », c’est-à-dire des relations d’intimité (sexuelle, conjugale ou amoureuse), entre des personnes issues d’espaces nationaux différents. La socio-anthropologue Hanan Sfalti nous offre ensuite des bribes ethnographiques qui interrogent la manière dont l’accompagnement médico-social, entre protection et contrôle, proposé aux mères en situation de migration en France, façonne le lien intime de ces femmes à leurs enfants. Face aux grands récits sur la mondialisation, la géographe Camille Schmoll explore la notion à première vue contradictoire de « global intimate » pour appréhender les dimensions situées et incarnées de l’expérience migratoire. Ainsi, elle montre comment des processus souvent décrits et appréhendés à de vastes échelles ont également des effets concrets sur les vies quotidiennes, et plus particulièrement, sur l’intimité de personnes en migration.
Dans la suite du numéro, l’anthropologue Marion Breteau nous montre comment les femmes travailleuses domestiques migrantes dans le Golfe arabo-persique brouillent la frontière entre vie intime et professionnelle, tout en résistant aux formes de contrôle des populations, grâce à l’usage des réseaux sociaux. L’architecte et sociologue Marie Trossat nous invite à observer la relation entre hospitalité, intimité et migration à l’aune de cartes et d’images de centres d’hébergement pour demandeur.euses d’asile en Belgique. Finalement, dans une perspective artistique, les chercheurs et chercheuses du projet Intimigr’ nous emmènent dans les coulisses de l’exposition « Intimités en migration ».
Les contributions réunies dans ce numéro nous conduisent donc à explorer la variété d’acceptions de l’intime en migration, qui se manifestent au travers d’expériences d’exil plurielles.
Florent Chossière, Laura Odasso et Glenda Santana de Andrade,
coordinateurs scientifiques
Photo de couverture : Photographies de Ninon Lacroix, présentées dans l’exposition temporaire « Intimités en migration », du 4 décembre 2023 au 9 janvier 2024, Maison de l’architecture Île-de-France, crédit : Marie Trossat
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