De facto n°26 | Mai 2021

26 | Mai 2021 

Quo vadis Europa ? La libre circulation européenne à l‘épreuve des crises 

Avec l’intégration progres­sive de ses États dans l’espace Schengen et son élar­gis­se­ment à l’Est, l’Union euro­péenne, a fait figure, durant les dernières décen­nies, de labo­ra­toire — unique au monde — de la libre circu­la­tion. L’étude des mobi­lités intra-euro­péennes nous permet de comprendre ce que pour­rait être un monde sans fron­tières, tout en révé­lant les profonds clivages qui travaillent les sociétés euro­péennes. En effet, si la libre circu­la­tion peut être un vecteur d’intégration et de trans­na­tio­na­lisme, elle est vécue de manière profon­dé­ment diffé­ren­ciée, avec d’un côté l’émergence de formes de citoyen­neté post-natio­nale liées à la construc­tion euro­péenne et, de l’autre, le déve­lop­pe­ment des natio­na­lismes. Plus récem­ment, les crises — qu’il s’agisse de la crise dite ‘des migrants’ de 2015, du Brexit et de la crise sani­taire liée à la COVID — ont ébranlé le modèle euro­péen d’appartenance et de mobi­lité. C’est ce modèle que ce dossier de De Facto explore dans ses complexités, ses stra­ti­fi­ca­tions et ses contra­dic­tions, tout en exami­nant comment les revi­re­ments poli­tiques et sani­taires de ces derniers mois inter­rogent l’Europe de la libre circu­la­tion, allant jusqu’à ques­tionner son avenir.

Ettore Recchi montre comment le Brexit et la COVID désta­bi­lisent les fonde­ments impli­cites du pacte euro­péen avec le réta­blis­se­ment des fron­tières et le retour en force des États-Nations. Qui plus est, le Brexit marque un coup d’arrêt, comme le démontre Fran­çois Héran, à l’at­trac­ti­vité du Royaume-Uni qui atti­rait jusque-là la plus grande part des migrants euro­péens, posant la ques­tion des pays de report. En reve­nant sur les signi­fi­ca­tions et la généa­logie de la libre circu­la­tion, Antoine Pécoud et Nora El Qadim rappellent que la libre circu­la­tion est très forte­ment corrélée au niveau d’éducation des Euro­péens. Elle a permis le déve­lop­pe­ment de modes de vies trans­na­tio­naux et de stra­té­gies fami­liales multi­lo­ca­li­sées, comme le montre Thomas Pfirsch à travers la carto­gra­phie des mobi­lités des ascen­dants migrants italiens, les flying grand­pa­rents, mais aussi d’iden­tités bi-natio­nales ou cosmo­po­lites à l’instar de ces familles euro­péennes instal­lées au Royaume-Uni et confron­tées au Brexit que nous présentent Marie Godin et Nando Sinoga. Dans le domaine du soin, Eva Renau­deau montre comment la libre circu­la­tion — du moins jusqu’à la crise sani­taire — permet au Fran­çais installés en Roumanie d’exploiter les diffé­rences d’accès au système de santé entre les deux pays. Chris­tine Barwick explore la mobi­lité euro­péenne des descen­dants d’immigrés non euro­péens dont les iden­ti­fi­ca­tions et circu­la­tions varient en fonc­tion de leur expé­rience de la discrimination.