Un « recadrage intersectionnel » à l’ARDHIS ? Configurations d’engagement et travail associatif aux prises avec les rapports sociaux de sexe et de race

Sara Cesaro, sociologue

L’ARDHIS est un acteur incon­tour­nable des mobi­li­sa­tions pour les personnes exilées LGBTI. Son histoire, marquée par un travail d’accompagnement et un dialogue avec les pouvoirs publics constants, est aussi carac­té­risée par une réflexion sur la struc­tu­ra­tion sociale du travail bénévole.

L’ARDHIS[1]Asso­cia­tion pour la recon­nais­sance du droit des personnes homo­sexuelles et trans à l’immigration et au séjour. a été fondée en 1998 par et pour des couples bina­tio­naux de même sexe, et s’ouvre à la demande d’asile OSIG[2]Orien­ta­tion sexuelle et iden­tité de genre au début des années 2000. L’association a contribué à la créa­tion d’un champ de mobi­li­sa­tion au croi­se­ment des mobi­li­sa­tions LGBT et de l’espace de la cause des étran­gers. Elle est devenue une inter­lo­cu­trice impor­tante pour les pouvoirs publics, en adop­tant des réper­toires d’action ancrés dans la défense des droits des exilé.es : l’accompagnement, juri­dique et social, ainsi que le plai­doyer, sont préférés à la contestation.
Ce choix s’explique par l’appartenance de la majo­rité des béné­voles aux classes moyennes-supé­rieures, tant intel­lec­tuelles qu’économiques, qui voient dans la contes­ta­tion le risque d’entacher la respec­ta­bi­lité de la mobi­li­sa­tion et les marges de négo­cia­tion auprès des insti­tu­tions. Cette crainte a aussi des consé­quences internes. Contrai­re­ment à d’autres asso­cia­tions, l’ARDHIS est majo­ri­tai­re­ment composée d’hommes, l’engagement des femmes et des personnes exilées se heurte pendant long­temps à une homo­so­cia­lité fran­çaise – et blanche : consi­dé­rées comme des menaces à la profes­sion­na­lité de l’association, les unes sont décou­ra­gées par le sexisme ambiant, les autres sont relé­guées au seul rôle de public.

À partir de 2015, à la faveur des chan­ge­ments poli­tiques en lien avec les migra­tions, l’association se fémi­nise et rajeunit progres­si­ve­ment, grâce à la créa­tion d’espaces en non-mixité par quelques béné­voles femmes. L’investissement se modifie en consé­quence. Tout en assu­rant la conti­nuité du travail asso­ciatif malgré un enga­ge­ment parfois plus informel, elles forcent l’adoption de réper­toires plus contes­ta­taires et œuvrent à une nouvelle étape de profes­sion­na­li­sa­tion débou­chant sur la sala­ri­sa­tion de certaines tâches.

« Ce renouveau militant ouvre une réflexion sur les rapports de pouvoir propres à la relation d’aide : l’éthos de travail « viriliste » s’estompe au profit de nouvelles tentatives de travail collectif. »

Ce renou­veau mili­tant ouvre une réflexion sur les rapports de pouvoir propres à la rela­tion d’aide : l’éthos de travail « viri­liste », fait de compé­ti­tion liée à l’individualité de l’accompagnement, est critiqué et s’estompe au profit de nouvelles tenta­tives de travail collectif. C’est cela qui permet en outre que des accu­sa­tions de violences sexuelles commises en interne soient trai­tées. L’association investit un nouveau terrain de lutte, s’affichant à la fois comme un acteur expert auprès des pouvoirs publics, mais aussi face au monde du travail social, dont elle contribue à rendre visible l’impensé, autant que la struc­tu­ra­tion, genrée et racialisée.

Notes

Notes
1 Asso­cia­tion pour la recon­nais­sance du droit des personnes homo­sexuelles et trans à l’immigration et au séjour.
2 Orien­ta­tion sexuelle et iden­tité de genre
Pour aller plus loin

Bécasse, J., Cesaro, S. & Chos­sière, F. (2020). L’Ardhis : lutte d’expert•es en faveur des étran­gers et étran­gères LGBT ?. Plein droit, 127, 41–44. https://​doi​.org/​1​0​.​3​9​1​7​/​p​l​d​.​1​2​7.0043
Cesaro, S. (2023). Les muta­tions du béné­volat pour l’asile LGBT. D’une cause gaie à son reca­drage inter­sec­tionnel. Thèse de doctorat, Univer­sité Paris 8 Vincennes – Saint-Denis.
Salcedo Robledo, M. (2013). Couples bina­tio­naux de même sexe : poli­tique de soupçon, norma­li­sa­tion et rapports de pouvoir. Migra­tions Société, 150, 95–108. https://​doi​.org/​1​0​.​3​9​1​7​/​m​i​g​r​a​.​1​5​0.0095

L’autrice

Sara Cesaro est docteure en socio­logie, cher­cheuse post­doc­to­rale au sein du labo­ra­toire Cresppa-GTM UMR 8217 et du projet ANR SOLIFRO. Elle est fellow de l’IC Migra­tions, au dépar­te­ment Policy.

Citer cet article

Sara Cesaro, « Un “reca­drage inter­sec­tionnel” à l’ARDHIS ? Confi­gu­ra­tions d’engagement et travail asso­ciatif aux prises avec les rapports sociaux de sexe et de race », in : Florent Chos­sière et Aude Rieu, Dossier « Exils LGBT+ », De facto Actu [En ligne], 3 | Mai 2024
URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2024/05/13/defacto-actu-003–04/

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