Se construire homosexuel par les persécutions. Condamnations homophobes et cheminement identitaire de demandeurs d’asile ouest-africains

Franck Bouchetal Pellegri, sociologue

En désta­bi­li­sant les repré­sen­ta­tions iden­ti­taires, les condam­na­tions homo­phobes expliquent les choix rela­tion­nels et les étapes d’évolution des indi­vidus, mais n’affectent pas les pers­pec­tives ou les buts qui orientent les processus de construction.

L’analyse quan­ti­ta­tive et quali­ta­tive d’entretiens de 155 hommes ouest-afri­cains montre que, dans leur demande d’asile en France, ils s’identifient « homo­sexuel » au travers de 47 faits. Les indi­vidus s’épanouissent dans des trajec­toires stables origi­nales aussi long­temps que des normes sociales ne s’opposent à leur singu­la­rité. Les répro­ba­tions sociales influent diver­se­ment sur les chemi­ne­ments identitaires.

En l’absence de toute confron­ta­tion aux inter­dits, certains s’épanouissent serei­ne­ment dans leur orien­ta­tion sexuelle à partir des réfé­rences dont ils disposent, sans avoir à s’identifier homo­sexuel et à subir de tensions. Leurs choix de vie sont portés par leurs atti­rances mascu­lines et leurs stra­té­gies rela­tion­nelles ont pour but la sécu­rité, la satis­fac­tion sexuelle et affec­tive, la fuite de la soli­tude et la fonda­tion d’un couple.

À l’inverse, les indi­vidus subis­sant très tôt des répro­ba­tions se conçoivent, se déve­loppent et s’affirment dans leur iden­tité pour soi et leur iden­tité sociale par leur déviance de la norme sociale. Toute­fois leur construc­tion n’est pas stable et évolue au gré des rencontres et des modèles de leur envi­ron­ne­ment. Leurs choix de vie dépendent moins des inter­ac­tions homo­phobes que d’une aspi­ra­tion à se vivre dans une constance de soi renvoyant à la défense de leur indi­vi­dua­lité et à leurs atti­rances mascu­lines. De ce fait, leurs stra­té­gies rela­tion­nelles répondent aux mêmes buts que précé­dem­ment mais les conduisent à se rappro­cher ou à s’éloigner de certaines personnes. 

« À l’inverse, les individus subissant très tôt des réprobations se conçoivent, se développent et s’affirment dans leur identité pour soi et leur identité sociale par leur déviance de la norme sociale. »

Enfin, lorsque la condam­na­tion inter­vient tardi­ve­ment après une phase d’épanouissement dans une forme de construc­tion homo­sexuelle, elle désta­bi­lise profon­dé­ment l’individu. L’identité pour soi reste ancrée dans les atti­rances mascu­lines, tandis que la recon­fi­gu­ra­tion de l’identité sociale oblige à choisir entre la déviance et ses consé­quences ou la confor­mité et l’abandon d’un mode de vie gay. Si certains choi­sissent de défendre leur indi­vi­dua­lité en suivant le chemi­ne­ment précé­dent, d’autres rentrent dans la norme et se retrouvent inca­pables de conci­lier leur atti­rance profonde pour les hommes et la réali­sa­tion de leurs enga­ge­ments iden­ti­taires hété­ro­sexuels. Pris dans une tension interne qui les empêche de se projeter dans une pers­pec­tive de vie satis­fai­sante, ils font leurs choix de manière erra­tique en fonc­tion de leurs besoins immé­diats de sexua­lité, de soli­da­rité ou de sécurité.

Ces résul­tats montrent qu’en désta­bi­li­sant les repré­sen­ta­tions, les condam­na­tions homo­phobes obligent les indi­vidus à recon­fi­gurer leur iden­tité et leurs pers­pec­tives, mais qu’elles ne sont pas à la base de la construc­tion iden­ti­taire homosexuelle.