Étienne Piguet, géographe
Le nombre de publications scientifiques dédiées aux liens complexes entre migration et environnement augmente depuis la fin des années 1980, avec la prise de conscience de l’ampleur du réchauffement climatique et la multiplication des financements de recherche sur ce thème.
L’une des premières mentions de « réfugiés de l’environnement » remonte à un rapport publié en 1985 pour le Programme des nations unies pour l’environnement (UNEP) par Essam El-Hinnawi (El-Hinnawi, 1985). L’auteur y évoque spécifiquement la dégradation des sols comme pouvant forcer des populations à quitter leurs terres. Auparavant, seule une poignée de recherches avaient abordé cette thématique, même si on compte parmi elles les travaux d’illustres figures comme Thomas Malthus, Friedrich Ratzel ou Ellen Churchill Semple (Piguet, 2013). Dès la fin des années quatre-vingt on observe une croissance régulière des publications scientifiques à comité de lecture à l’échelle mondiale, principalement en langue anglaise. Elles sont systématiquement archivées et classées par mots clés dans une base de données accessible à tous sur demande à l’Université de Neuchâtel[1]Contact : Climig@unine.ch – Informations complémentaires sur la base de données : www.unine.ch/geographie/climig.
La croissance de l’activité scientifique est attribuable en premier lieu à la prise de conscience de l’ampleur du réchauffement climatique et de ses possibles conséquences. En 1990, le tout premier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) mentionne ainsi les déplacements de populations comme un enjeu majeur. L’intérêt pour le thème est aussi malheureusement stimulé par la crainte des migrations qui se répand dans les pays les plus favorisés. Des analyses militaires publient ainsi dans les années quatre-vingt-dix des rapports qui thématisent la migration climatique comme un « risque de sécurité » et stimulent les bailleurs de fonds étatiques à lancer de vastes programmes de recherche (Piguet, Kaenzig and Guélat, 2018). Les résultats de ces investigations livrent cependant une tout autre image que celle de flots de réfugiés du climat se dirigeant vers l’Europe ou les États-Unis. Les déplacements liés à l’environnement se font principalement sur de courtes distances et pour de courtes durées. Loin de constituer par définition un risque, la migration peut au contraire permettre de mieux faire face aux dégradations environnementales (Boas et al., 2019). C’est le cas par exemple lorsqu’un ménage paysan frappé par une sécheresse peut compter sur les transferts de fonds d’un membre de la famille expatrié ou lorsque des migrants de retour apportent des connaissances nouvelles favorables à des innovations techniques. Les questions à l’agenda de la recherche restent nombreuses et le fléchissement des publications observé en 2022 ne semble dû qu’aux difficultés d’effectuer des recherches de terrain durant les années de pandémie.
Notes[+]
↑1 | Contact : Climig@unine.ch – Informations complémentaires sur la base de données : www.unine.ch/geographie/climig |
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Pour aller plus loin
- Boas I. et al., 2019. « Climate migration myths », Nature Climate Change, n°9, pp. 901–903.
- El-Hinnawi E., 1985. Environmental refugees, Nairobi : United Nations Environmental Program.
- Piguet E., 2013. « From “primitive migration” to “climate refugees” – The curious fate of the natural environment in migration studies. », Annals of the Association of American Geographers, n°103, pp. 148–162.
- Piguet, E., Kaenzig, R., & Guélat, J., 2018. « The uneven geography of research on “environmental migration”. », Population and Environment, n°39, pp. 357–383.
L’auteur
Professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel en Suisse et Vice-président de la Commission fédérale des migrations, Etienne Piguet observe depuis plus de vingt ans les flux et les politiques migratoires.
Citer cet article
Etienne Piguet, « Mobilité – Environnement – Climat : une recherche en plein essor », in : Audrey Lenoël et Jérôme Valette (dir.), Dossier « Migrations et climat : la fonte des certitudes », De facto [En ligne], 36 | Décembre 2023, mis en ligne le 13 décembre 2023. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2023/12/07/defacto-036–04/
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