De facto n°35 | Octobre 2023

35 | Octobre 2023 

Rendre visible les mémoires des migrations 

Le patri­moine est le fruit d’une opéra­tion intel­lec­tuelle, mentale et sociale qui implique des choix autant que des oublis. Rele­vant de la « magie sociale », comme le rappelle le géographe Olivier Lazza­rotti, la patri­mo­nia­li­sa­tion s’ins­crit tout autant dans un travail scien­ti­fique que dans un volet social et poli­tique. Par consé­quent, elle mobi­lise une grande diver­sité d’acteurs. Tandis que certains objets sont mis en lumière, d’autres sont laissés dans l’ombre. Pendant long­temps, le patri­moine était essen­tiel­le­ment archi­tec­tural puis il a concerné une diver­sité d’objets toujours plus grande, jusqu’à devenir même imma­té­riel. Il s’est aussi progres­si­ve­ment appliqué à des périodes de l’histoire de plus en plus récentes. Aujourd’hui, la patri­mo­nia­li­sa­tion d’objets et de pratiques liés aux dyna­miques migra­toires se déve­loppe et offre la possi­bi­lité aux mémoires des migra­tions d’émerger dans l’espace public.

Sans prétendre l’épuiser, ce numéro met en avant la diver­sité des processus de patri­mo­nia­li­sa­tion des migra­tions à travers leurs objets et leurs acteurs. Car il n’y a de patri­moine qu’à partir du moment où des acteurs décident de se saisir d’un objet ou d’une pratique et d’en faire un support des mémoires. L’anthropologue Yahya Al-Abdullah raconte l’histoire d’un tapis réalisé dans le cadre d’un projet de recherche-action impli­quant des Doms migrants en France et des acteurs artis­tiques, scien­ti­fiques et asso­cia­tifs, tapis qui fait désor­mais partie des collec­tions du Mucem. L’historien Fabrice Langro­gnet présente le projet de recherche « Migrants dans le loge­ment ordi­naire », qui a donné lieu à une expo­si­tion tempo­raire inti­tulée « La vie HLM » (Auber­vil­liers, 2021–2022) et qui propose de faire une histoire des migra­tions à travers une micro­his­toire du loge­ment popu­laire. La socio­logue Mathilde Pette évoque, pour sa part, le rôle de l’engagement d’associations et de collec­tifs citoyens dans la créa­tion du Mémo­rial du Camp de Rive­saltes qui fut un lieu d’internement de popu­la­tions fran­çaises et étran­gères, quali­fiées « d’indésirables ». Evelyne Ribert, socio­logue, offre un état des lieux de la patri­mo­nia­li­sa­tion des migra­tions, tandis que les contri­bu­tions des histo­riens Marianne Amar et Emma­nuel Blan­chard concernent deux exemples de mise en scène de l’histoire des migra­tions : le nouveau parcours de l’exposition perma­nente du Musée National de l’Histoire de l’Immigration d’une part et, d’autre part, le projet de mise en valeur des archives du GISTI.

Ce numéro, en mettant l’accent sur les acteurs de la patri­mo­nia­li­sa­tion à travers une plura­lité d’objets, propose en creux une réflexion sur les enjeux de la mise en patri­moine des migra­tions. Il s’agit, à travers ce kaléi­do­scope d’acteurs et d’objets, de rendre visible la façon dont s’inscrivent les mémoires des migra­tions dans l’espace social contemporain.

Adèle Sutre et Nina Wöhrel,
coor­di­na­trices scientifiques

Photo de couver­ture : « Rolling and Rinsing:Women rolling the carpet to rinse it then dry it », crédit : Yahya Al-Abdullah