AAC : Appel à contributions pour le dossier thématique – Transferts et évacuations sanitaires : pratiques et expériences autour de dispositifs médicaux d’État — LIMITE : 1er JUIN 2023

  • Dossier théma­tique coor­donné par Dolorès Pourette (Ceped) et Alice Servy (Sage)

Argumentaire

Ces dernières années ont vu l’essor de nombreux travaux et publi­ca­tions sur les mobi­lités théra­peu­tiques, défi­nies comme les circu­la­tions de personnes, de savoirs, de produits, de tech­no­lo­gies, etc. dans le domaine de la santé (Sakoyan et al., 2011 ; Sakoyan, 2012 ; Bochaton, 2019 ; Kaspar, 2019). L’usage du terme « mobi­lité », en tant que carac­tère de ce qui se déplace ou peut être déplacé par rapport à un lieu, permet d’abord de mettre l’accent sur la dimen­sion spatio-tempo­relle des dépla­ce­ments. Cela permet en outre d’élargir la focale, en prenant en consi­dé­ra­tion les autres personnes (parents, béné­voles, professionnel·le·s), ainsi que les objets, les idées et les pratiques qui circulent paral­lè­le­ment aux patient·e·s (Sakoyan et al., 2011). L’utilisation du concept de mobi­lité, plutôt que celui d’« itiné­raire théra­peu­tique » (Vidal, 1992) par exemple, permet ensuite de souli­gner que ces dépla­ce­ments ne consti­tuent pas toujours des trajec­toires unidi­men­sion­nelles ou clai­re­ment bali­sées entre des points de départ et d’arrivée. Les dépla­ce­ments sont souvent complexes, multiples et divers. La notion de mobi­lités théra­peu­tiques permet enfin de dépasser l’opposition entre « tourisme médical » (Wilson, 2011 ; Holliday et al., 2015) et « immi­gra­tion théra­peu­tique » (Guillou, 2009). Cette distinc­tion, souvent faite par les médias, tend à faire réfé­rence aux statuts socio-écono­miques (supposés) des personnes et à la légi­ti­mité juri­dique de leur quête trans­na­tio­nale de soins, du point de vue du pays d’accueil (Pian, 2015). Par ailleurs, ces caté­go­ries ne reflètent pas la diver­sité des personnes qui reçoivent des soins en dehors de leur lieu de rési­dence habi­tuel (Perez, 2010 ; Ormond et Lunt, 2019), ni le fait qu’elles ne se défi­nissent pas néces­sai­re­ment comme des « touristes » (Pordié, 2011), des « consommateur·rice·s » (Kaspar, 2019) ou des « migrant·e·s ».

Les travaux réalisés sur les mobi­lités trans­fron­ta­lières de malades dans le recours aux soins soulignent prin­ci­pa­le­ment l’importance des ressources écono­miques, des réseaux sociaux et de la connais­sance préa­lable du pays d’accueil par les patient·e·s (Bochaton, 2015 ; Mathon et al., 2019). Cepen­dant, peu de travaux en sciences humaines et sociales ont été publiés sur les dispo­si­tifs insti­tu­tion­nels qui orga­nisent et/​ou financent les dépla­ce­ments intra et extra­ter­ri­to­riaux de patient·e·s, en situa­tion de crise sani­taire, de conflits armés ou pour pallier un manque d’in­fra­struc­tures médi­cales, par exemple (Sakoyan, 2010 ; Fleury, 2010). Or il est fort à parier que le mode de finan­ce­ment et d’organisation de ces dépla­ce­ments influencent le dérou­le­ment et l’expérience des mobi­lités intra et extra­ter­ri­to­riales des patient·e·s.

Ce dossier théma­tique propose de se foca­liser sur les formes de mobi­lités théra­peu­tiques que sont les dépla­ce­ments de patient·e·s impli­quant l’État (orga­nismes de la Sécu­rité sociale, Armée). Ces dispo­si­tifs insti­tu­tion­nels sont appelés « évacua­tion sani­taire » (abrégés « évasan »), « medical evacua­tion » (abrégés « medevac »), « évacua­tions aéro­mé­di­cales » ou « trans­ferts sani­taires » par exemple. En fonc­tion des contextes géogra­phiques et histo­riques, ces termes peuvent ou non dési­gner des réalités diffé­rentes, notam­ment par rapport à la prise en charge par l’État. Issue du langage mili­taire, l’évacuation sani­taire dési­gnait à l’origine l’extraction de blessé·e·s de guerre par voie aérienne, terrestre ou navale et leur trans­fert vers un lieu de prise en charge médi­cale (Raje­rison, 2022). L’expression s’est ensuite étendue aux évacua­tions effec­tuées dans d’autres contextes d’urgence sani­taire (à la suite d’un acci­dent par exemple) : il s’agit d’évacuer la personne blessée ou néces­si­tant des soins urgents du lieu où elle se trouve pour la conduire vers un lieu où elle sera prise en charge médi­ca­le­ment. Le trans­fert sani­taire désigne souvent quant à lui le trans­fert d’un·e patient·e entre deux établis­se­ments de santé – ce qui n’est pas le cas de l’évacuation sani­taire. L’expression « évacua­tion sani­taire » est cepen­dant utilisée parfois pour dési­gner des trans­ferts ou des dépla­ce­ments non urgents de patient·e·s., commme cela est le cas en Poly­nésie fran­çaise (Servy, 2022) ou pendant la pandémie de covid-19 où des patient·e·s ont été transféré·e·s d’un hôpital à un autre (Do Monte et al., 2020).

Les dispo­si­tifs auxquels nous nous inté­res­sons ici sont les dépla­ce­ments intra et extra­ter­ri­to­riaux de patient·e·s pris en charge par les États, qui recouvrent des contextes et des situa­tions variés : évacua­tion médi­cale d’étudiant·e·s népalais·e·s qui étaient à Wuhan au début de la pandémie (Rajb­han­dari et al., 2020), trans­ferts de nouveaux-nés deman­dant une prise en charge médi­cale parti­cu­lière, de Mayotte vers La Réunion par exemple, trans­ferts de patient·e·s néces­si­tant une greffe de La Réunion vers Paris (Fran­china et al., 2022), évacua­tions mari­times ou aériennes de personnes atteintes de cancer, depuis leur île de rési­dence vers Tahiti ou de Tahiti vers l’Hexagone ou la Nouvelle-Zélande (Servy, 2022), trans­ferts terrestres de femmes enceintes au Burkina Faso (Ramatou, 2006), trans­ferts ferro­viaires ou aériens inter-hospi­ta­liers de patient·e·s pendant la pandémie de covid-19 en France hexa­go­nale (Do Monte et al., 2020), évacua­tions aéro­mé­di­cales d’enfants autoch­tones au Canada (Shaheen-Hussain, 2021), évacua­tions de blessés de guerre depuis une zone de combat vers une struc­ture de soins (Fèvre, 2007), etc.

Ces dispo­si­tifs reflètent les inéga­lités terri­to­riales et sociales de santé et les réponses insi­tu­tion­nelles appor­tées à ces inéga­lités. En France, la problè­ma­tique des trans­ferts sani­taires est une préoc­cu­pa­tion parti­cu­liè­re­ment forte dans ses dépar­te­ments et régions d’outre-mer (Barde, 2017), du fait notam­ment de l’insuffisance des person­nels et des infra­struc­tures de santé et du fait des tensions engen­drées par les inéga­lités d’accès aux soins et aux droits dans ces exten­sions extra­ma­rines où les problé­ma­tiques migra­toires sont souvent marquées (Pourette, 2023). Les inéga­lités peuvent égale­ment concerner la répar­ti­tion dans la popu­la­tion des « savoir-faire » et « savoir-être » (d’ordre admi­nis­tratif, logis­tique, social, tech­no­lo­gique, linguis­tique, etc.) qui influencent l’expérience des évacua­tions sani­taires des patient·e·s et de leurs proches (Servy, 2022). Par ailleurs, il existe des accords entre États permet­tant le finan­ce­ment, par ces États, de trans­ferts sani­taires trans­fron­ta­liers. Par exemple, des dépla­ce­ments de malades sont orga­nisés depuis Mada­gascar vers La Réunion, l’Hexagone ou l’île Maurice. Mais ces trans­ferts sani­taires désta­bi­lisent les systèmes de santé des pays de départ car une partie des frais est à leur charge (Dézé, 2021).

L’objectif de ce dossier est de docu­menter et d’interroger ces dispo­si­tifs de dépla­ce­ments de patient·e·s : les usages qui en sont fait, les négo­cia­tions et processus de déci­sion qui encadrent les trans­ferts et les évacua­tions, les expé­riences et pratiques des acteurs et actrices de ces dispo­si­tifs : professionnel·le·s de santé, accompagnant·e·s, patient·e·s, etc. Ce dossier est aussi l’occasion d’interroger plus large­ment les poli­tiques de santé des gouver­ne­ments et leur arti­cu­la­tion aux enjeux de fron­tières et de migrations.

Nous souhai­tons accueillir dans ce dossier des articles de recherche portant sur des contextes natio­naux et inter­na­tio­naux diffé­rents. Les propo­si­tions d’articles devront être basées sur des enquêtes empi­riques origi­nales, toute disci­pline recour­rant aux méthodes quali­ta­tives étant bien­venue : anthro­po­logie sociale et cultu­relle, mais aussi géogra­phie, socio­logie, sciences poli­tiques, histoire, éthique, etc.

Modalités de soumission et calendrier

Les propo­si­tions de contri­bu­tion compren­dront un titre et un résumé de 500 mots maximum. Elles devront être envoyées aux coor­di­na­trices du numéro avant le 1er juin 2023 aux adresses suivantes :

dolores.​pourette@​ird.​fr

servy@​unistra.​fr

Les articles sélec­tionnés à l’issue de cette étape devront leur être adressés avant le 30 septembre 2023. Ils seront alors transmis à la rédac­tion d’Anthro­po­logie & Santé et évalués selon la procé­dure habi­tuelle de double évalua­tion externe et anonyme.

La publi­ca­tion de ce numéro est prévue pour novembre 2024. Les articles acceptés pour publi­ca­tion pour­ront être mis en ligne avant cette date dans la rubrique dédiée de la revue.