Éloignement, asile et rétention des mineurs

Tania Racho et Serge Slama, juristes

Eloignement

L’objectif du projet de loi

Changer de dimen­sion en ciblant davan­tage d’étrangers pour les mesures d’éloignement liées à l’ordre public et/​ou à des infractions. 

L’idée reçue à l’origine de la proposition

La volonté du gouver­ne­ment est de faci­liter l’éloignement de tout étranger ayant commis des infrac­tions ou repré­sen­tant un trouble à l’ordre public. L’idée serait que les étran­gers commettent davan­tage d’infractions. Les études démontrent néan­moins que même s’ils sont 15% à être condamnés, les étran­gers (au sens non-fran­çais donc tout ressor­tis­sant euro­péen notam­ment) commettent surtout des délits à 98%, fréquem­ment liés à leur situa­tion précaire. De plus, les études démontrent que des biais influencent les condam­na­tions qui sont plus faci­le­ment pronon­cées à l’égard d’étrangers et que certains délits sont liés à l’irrégularité du séjour. 

Comment le gouvernement va-t-il procéder ?

En élar­gis­sant les motifs (pour tout délit passible de 5 ans d’emprisonnement) et en amoin­dris­sant les protec­tions (personnes qui ne devraient pas être expul­sées). L’article L‑631–2 du Code de l’entrée et du séjour des étran­gers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit que certaines personnes ne peuvent être expulsés que s’ils repré­sentent une menace très grave pour la sécu­rité publique. C’est le cas des parents d’enfants mineurs qui résident en France, des étran­gers mariés depuis au moins 3 ans avec une personne de fran­çaise ou encore de personnes qui résident depuis 10 ans en France. L’expulsion devient possible lorsqu’ils ont été condamnés à une peine d’au moins 5 ou 10 ans d’emprisonnement, selon les cas. La modi­fi­ca­tion ici aurait pour consé­quence d’élargir consi­dé­ra­ble­ment les possi­bi­lités d’expulsion puisqu’un nombre impor­tant d’infractions sont passibles d’au moins 5 ans d’emprisonnement. Ainsi, si l’étranger encourt cette peine mais qu’il est fina­le­ment condamné à 6 mois de sursis par exemple, il ne béné­fi­ciera plus auto­ma­ti­que­ment d’une protec­tion légale contre l’éloignement mais unique­ment, au cas par cas, de la protec­tion liée à l’article 8 de la Conven­tion euro­péenne de sauve­garde des droits de l’homme (CESDH). C’est ce qui est appelé la « double peine » : la personne est condamnée pour son infrac­tion et expulsée en plus. 

« 350 étrangers faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion, plus de 4000 par une interdiction de territoire et environ 2000 par des OQTF (obligations de quitter le territoire français) « ordre public ». »

Selon l’étude d’impact élaborée par le gouvernement

Le risque

Cet élar­gis­se­ment risque de priver de protec­tion légale des personnes en séjour régu­lier qui ont de solides attaches fami­liales en France et créer des situa­tions de viola­tion de l’article 8 de la CESDH, qui protège le droit à une vie privée et à une vie familiale. 

L’analyse

Les modi­fi­ca­tions envi­sa­gées qui lèvent les protec­tions contre les mesures d’expulsion pour certaines incri­mi­na­tions risquent de provo­quer un chan­ge­ment d’échelle sans précé­dent contre ce qu’on qualifie de « double peine ». Cela va accroître consi­dé­ra­ble­ment le conten­tieux puisque ces étran­gers, régu­liers, qui souvent ont d’importantes attaches fami­liales avec la France, parfois y sont même nés, vont systé­ma­ti­que­ment soulever la viola­tion de l’article 8 de la CESDH.

L’asile

L’objectif du projet de loi

Accé­lérer le processus de l’asile dans son ensemble pour atteindre une durée de 6 mois, afin d’éloigner plus rapi­de­ment les déboutés de l’asile.

L’idée reçue à l’origine de la proposition

Deux constats diffé­rents motivent le projet de loi. D’une part, l’idée que la demande d’asile serait utilisée pour se main­tenir sur le terri­toire en béné­fi­ciant des condi­tions mini­males d’accueil. D’autre part, la réduc­tion des délais permet­trait d’éloigner plus faci­le­ment ceux qui n’ont pas obtenu de protec­tion. La loi « Collomb » avait déjà retenu ces solu­tions pour les « procé­dures accé­lé­rées », soit un tiers de la demande d’asile, et cela n’a pas contribué à améliorer le taux d’éloignement des déboutés du droit d’asile.

En outre, en tout état de cause, certains étran­gers ne seront de toute façon pas expul­sables en raison des diffi­cultés dans leurs pays d’origine, même s’ils sont déboutés de l’asile (Afghans, Ukrai­niens, Syriens, Erythréens, Ethio­piens, etc.). 

Comment le gouvernement va-t-il procéder ?

Le projet de loi cible prin­ci­pa­le­ment les procé­dures autour de la demande d’asile. Il est prévu de mettre en place des « pôles France asile » qui réuni­raient les diffé­rents services de l’asile (préfec­ture pour l’enregistrement, OFII pour les condi­tions d’accueil et OFPRA pour l’enregistrement de la demande). Par ailleurs, des forma­tions de juge­ment de la juri­dic­tion chargée d’examiner les recours contre les déci­sions de l’OFPRA, la Cour natio­nale du droit d’asile (CNDA), seraient elles aussi terri­to­ria­li­sées et il est prévu la géné­ra­li­sa­tion du juge unique (qui concerne pour­tant déjà plus de 50% des recours devant la CNDA).

« Il y a environ 130 000 demandes d’asile par an et 40% bénéficieront d’une protection. Il existe actuellement 50 000 places d’hébergement pour les demandeurs d’asile, ce qui laisse une large part hors dispositif, avec une aide journalière de 14,20 euros pour la nourriture et l’hébergement. »

Le risque

Une trop forte accé­lé­ra­tion des procé­dures n’est pas néces­sai­re­ment béné­fique pour une personne deman­dant l’asile qui a subi de multiples trau­ma­tismes et n’est pas en état, dès son arrivée sur le terri­toire, de pouvoir formuler et décrire les persé­cu­tions qui ont été subies, condi­tion pour octroyer l’asile.
La terri­to­ria­li­sa­tion de la CNDA s’accompagne d’un renver­se­ment de prin­cipe : le juge unique devient la règle, tandis que la collé­gia­lité serait excep­tion­nelle. Il s’agit là d’une rupture radi­cale avec les spéci­fi­cités du système fran­çais de l’asile depuis 1952. En effet, la CNDA siège en prin­cipe avec trois asses­seurs : magis­trat admi­nis­tratif, judi­ciaire ou des comptes, asses­seur nommé par le HCR des Nations Unies, asses­seur nommé par le Conseil d’Etat. Cette forma­tion collé­giale permet des discus­sions perti­nentes sur le contexte géopo­li­tique mais aussi sur l’appréciation de dossiers plus sensibles, notam­ment lorsqu’ils sont liés à des persé­cu­tions en raison de l’orientation sexuelle.

L’analyse

Cette approche prag­ma­tique ne corres­pond pas au contexte de la demande d’asile, qui fait face à un public vulné­rable. La réduc­tion des délais ou le passage systé­ma­tique à un juge unique marque un recul dans la vision de l’asile en France. Enfin, les délais sont en constante baisse, pour atteindre 261 jours (8 mois et 21 jours) à l’OFPRA en 2021 et 218 jours à la CNDA (7 mois et 8 jours).

Rétention des mineurs

Objectif du projet de loi

Inter­dire la présence de mineurs de moins de 16 ans dans les centres de réten­tion admi­nis­tra­tive (qui servent pour les retours forcés) à partir du 1er janvier 2025, pour mieux respecter les condam­na­tions précé­dentes de la Cour euro­péenne des droits de l’homme.

Analyse

La France a été condamnée 9 fois par la Cour euro­péenne des droits de l’homme en raison de la présence de mineurs dans ces centres de réten­tion. La Cour n’interdit pas en prin­cipe cette réten­tion mais estime que selon l’âge, la durée de réten­tion et les condi­tions d’accueil, un mineur peut subir un trai­te­ment inhu­main en raison de cet enfermement. 

La limite de 16 ans ne paraît pour­tant pas néces­saire : un mineur de 16 ans peut aussi être trau­ma­tisé par un séjour en réten­tion de plusieurs jours ou semaines (jusqu’à 90 jours) dans des condi­tions inadap­tées. De plus, la date de 2025 laisse penser que l’application ne se ferait qu’après l’adoption d’une mesure spéci­fique à l’outremer, visant notam­ment Mayotte, dépar­te­ment dans lequel il existe de nombreux mineurs non accom­pa­gnés. Il faut préciser que la réten­tion de mineurs non accom­pa­gnés ne devrait déjà pas être possible car ils ne doivent pas être expulsés et sont protégés par les services fran­çais de protec­tion de l’enfance (ASE). Néan­moins, les mineurs non accom­pa­gnés sont bien enfermés en centre de réten­tion et expulsés à Mayotte, situa­tion qui devrait donc perdurer si l’objectif de 2025 est la mise en place d’une norme d’exception.

Pour aller plus loin :
Les auteurs

Tania Racho est docteure et ensei­gnante en droit euro­péen, spécia­lisée dans les ques­tions de droits fonda­men­taux au niveau euro­péen, et notam­ment en droit d’asile en tant qu’assesseure nommée par le HCR à la Cour natio­nale du droit d’asile. Elle est anima­trice et coor­di­na­trice sur réseau Désinfox Migrations.

Serge Slama est profes­seur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes, expert dans le conten­tieux des droits fonda­men­taux et les droits de l’IA. Il est fellow de l’Institut Conver­gences Migrations.

Citer cet article

Tania Racho et Serge Slama, « Éloi­gne­ment, asile et réten­tion des mineurs », in : Tania Racho, Marie-Caro­line Saglio-Yatzi­mirsky et Emeline Zoug­bédé (dir.), Dossier « Projet de loi « Immi­gra­tion et inté­gra­tion » : le décryp­tage », De facto Actu [En ligne], 1 | Mars 2023, mis en ligne le 21 mars 2023. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2023/03/14/defacto-actu-001–04/

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