Les Jeudis du master sont des rencontres hebdomadaires entre professionnel·le·s et étudiant·e·s du master. Elles sont introduites et restituées par un binôme d’étudiant·e·s. Tout affilié·e de l’Institut Convergences Migrations peut y assister, sur demande auprès de master@icmigrations.fr.
Voici la restitution, par Victoria Lamothe, étudiante en deuxième année du master Migrations, de la séance du 3 février 2022 :
« Invitée en tant que directrice de cabinet de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), Sophie Pegliasco est venue présenter les missions actuelles de l’OFPRA et répondre aux questions des étudiants. On retrouvera dans ce compte-rendu quelques enjeux abordés lors de l’échange.
L’OFPRA, une indépendance fonctionnelle mésestimée
Initialement rattachée au ministère des Affaires étrangères, l’OFPRA est un établissement public qui est, depuis 2010, sous la tutelle financière et administrative du ministère de l’Intérieur. Sophie Pegliasco rappelle pour autant que l’OFPRA est entièrement indépendant dans ses décisions sur l’asile et ne peut donc pas les voir orientées par quelque autorité. Cette indépendance fonctionnelle, réaffirmée par le législateur dans l’article 7 de la loi 2015–925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, est importante à souligner, en ce qu’elle se traduit notamment en une absence totale de quotas. La tutelle ministérielle est circonscrite aux plans budgétaire et administratif. Un fait souvent mal compris, comme le rappelle la directrice de cabinet.
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Instruction, protection, conseil : les missions de l’OFPRA
Parmi les trois grandes missions de l’OFPRA, la plus connue est bien évidemment celle de l’instruction des demandes de protection internationale. Ce terme comprend la l’octroi du statut de réfugié, statut créé en application de l’article 1er A2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. La Convention de Genève ouvre en effet droit à la qualité de réfugié si la personne craint des persécutions et que ces craintes sont fondées sur l’un des 5 motifs suivants : la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social (genre, orientation sexuelle, mais cela peut aussi concerner les enfants et jeunes femmes menacées d’excision, etc.) et les opinions politiques. Comme le rappelle la directrice de cabinet, toute la difficulté résidait alors jusque-là dans l’existence de motifs de persécution non couverts par la Convention et n’ouvrant donc pas droit à la protection qu’offre le statut de réfugié.
L’introduction par les législateurs français et européen de la « protection subsidiaire » (introduite en France par la loi du 10 décembre 2003 relative au droit d’asile, par transposition anticipée de la directive qualification, adoptée en 2004) attribue plus largement désormais une protection à tout étranger qui ne remplit pas les conditions d’obtention du statut de réfugié et qui est exposé dans son pays au risque de voir sa vie menacée ou sa personne subir la torture et autres traitements inhumains ou dégradants.
Au niveau européen, le sommet de Tampere de 1999 a posé les premières pierres d’un régime d’asile européen commun (RAEC). Si ce régime est bel et bien à l’origine de l’harmonisation des cadres juridiques actuels des États européens en matière d’asile, Sophie Pegliasco souligne que les pratiques restent, elles, parfois encore divergentes. Des mécanismes de convergence européenne ont néanmoins été mis en place au fil des ans et commencent à porter leurs fruits.
L’OFPRA examine également les demandes de protection des apatrides, dont le statut se voit reconnaître par la Convention de New York de 1954.
La protection juridique et administrative des bénéficiaires d’une protection internationale (réfugiés, protection subsidiaire ou apatrides) constitue la deuxième mission de l’OFPRA et se concrétise par la délivrance d’actes d’état civil nationaux (acte de naissance, mariage, etc.) aux personnes qui en seraient privées. Dans le cas des personnes réfugiées ou bénéficiant d’une protection subsidiaire, la France, par l’intermédiaire de l’OFPRA, permet à la personne protégée de bénéficier de son état civil sans avoir à contacter l’administration civile de son pays. Ce qui vaut parfois à l’OFPRA, comme le rappelle la directrice de cabinet, le qualificatif de « Mairie des réfugiés » puisque l’OFPRA a environ 500.000 personnes sous sa protection juridique et administrative, ce qui en ferait, à titre comparatif, la deuxième mairie de France.
Dans le cadre de l’asile aux frontières, la troisième mission de l’OFPRA est une mission de conseil en direction du ministère de l’Intérieur concernant toute personne souhaitant demander l’asile, et se trouvant en situation telle que la personne fait sa demande en zone d’attente. Comme Sophie Pegliasco le rappelle, la zone d’attente se trouvant « fictivement » en territoire international, la personne demande en réalité à entrer sur le territoire français, ce qui ne relève pas de la compétence de l’OFPRA. C’est alors le ministre de l’Intérieur, responsable de toutes les entrées sur le territoire français, qui devra prononcer une autorisation ou un refus d’entrée suivi d’un réacheminement de la personne dans le pays d’où elle vient. Le rôle de l’OFPRA étant ici, à titre exploratoire, de soumettre le demandeur à un premier examen superficiel de la demande d’asile, et d’en rendre, aux autorités compétentes, un avis motivé. Si cet avis est positif, le ministre de l’Intérieur n’a d’autre choix que d’accepter la demande d’entrée sur le territoire, sauf si son acceptation revenait à menacer l’ordre public français. Le taux d’avis positif rendu par l’OFPRA est d’environ 35%.
Quelques questions d’étudiantes et d’étudiants…
Quelle prise en compte des vulnérabilités des personnes lors de l’instruction du dossier ?
Sophie Pegliasco souligne que la prise en compte de la vulnérabilité de la personne, notamment chez des personnes mineures, peut parfois donner lieu à une autorisation d’entrée sur le territoire, sans que celle-ci soit, à ce stade, qualifiée de fondée ou d’infondée. Il s’agit de la procédure de « fin de maintien » en zone d’attente.
En réponse à l’une des étudiantes du Master, la directrice de cabinet rappelle que les vulnérabilités liées aux troubles d’ordre psychique sont prises en compte dans l’instruction des demandes d’asile. S’agissant de l’octroi des titres de séjour pour raisons de santé, elle ajoute qu’au meilleur de sa connaissance, ils lui semblent plus facilement octroyés aux personnes souffrant de pathologies autres que relevant de la santé mentale. De plus, ces vulnérabilités, bien que n’étant pas l’objet direct de l’OFPRA, peuvent avoir des conséquences lourdes sur l’instruction des dossiers, en ce qu’elles peuvent être à l’origine de troubles de verbalisation ou de mise en cohérence des récits, impactant directement l’analyse de la situation du demandeur. L’enjeu étant pour l’officier de protection que ces troubles ne portent pas préjudice à la qualité du travail d’instruction de la demande, tout en obtenant les informations permettant de l’instruire.
L’instruction du dossier s’établissant en partie sur l’étude des risques qu’implique pour le demandeur son retour au pays, quelle prise en compte des violences ayant eu lieu pendant la migration ?
C’est en effet là que se posent les termes du débat, affirme la directrice de cabinet. L’OFPRA apprécie effectivement les risques que porte le retour dans le pays d’origine, et cette appréciation se fait donc in concreto, comprenant ainsi les risques de persécution qui se posent pour le demandeur, aussi au regard des traumatismes qu’il a pu développer pendant la migration. À titre d’exemple, la forte ostracisation dans le pays d’origine de femmes violées sur le chemin de l’exil peut être qualifiée de persécution à prendre en compte lors de l’instruction de la demande.
Quelles réalités de la procédure d’asile aux frontières à l’international ?
Il faut commencer par rappeler que, juridiquement, une demande d’entrée sur le territoire doit être distinguée d’une demande d’asile. Une demande de VISA auprès d’une ambassade ou d’un consulat à l’étranger constitue par exemple une demande d’entrée sur le territoire français, et pas une procédure d’asile aux frontières. Quand bien même cette autorisation d’entrée peut être demandée « au titre de l’asile », celle-ci n’est pas assimilable à une procédure de demande d’asile. Procédure que pourra entreprendre l’étranger une fois seulement entré sur le territoire.
En revanche, l’OFPRA organise des déplacements d’officiers de protection en dehors du territoire français, pour auditionner des personnes réfugiées dans un premier pays d’accueil, en application d’engagements politiques dont le gouvernement seul est à l’origine. Ces engagements visent à venir en aide à un Etat submergé à travers des missions dites de « relocalisation » pour les pays européens comme la Grèce ou l’Italie, et de « réinstallation », pour les pays hors Europe, comme ça a déjà été le cas pour la Jordanie, le Tchad ou le Niger, entre autres. Ces missions permettent ainsi d’éviter à des réfugiés potentiels d’effectuer des voyages clandestins dangereux et d’organiser une arrivée en France en toute sécurité.
Pour l’instant, la procédure d’instruction des demandes d’asile hors du territoire français est donc une mesure entièrement exceptionnelle. Sophie Pegliasco rappelle à ce titre que la mise en place d’une éventuelle externalisation de cette procédure impliquerait nécessairement un système juridique fondamentalement différent de celui applicable depuis 1952.
Concrètement, à l’étranger, comment l’OFPRA rencontre-t-il les demandeurs d’asile ? Les personnes doivent-elles demander l’asile à l’Etat du pays concerné par l’aide ?
À l’étranger, il n’y a pas toujours d’administration nationale de l’asile, rappelle Sophie Pegliasco. Le Niger, par exemple, n’a de système d’asile comparable au nôtre que depuis 2018. En revanche, les migrants et migrantes demandant une protection et une assistance internationale auprès du HCR peuvent se voir proposer d’intégrer un programme de réinstallation, et sont ainsi mis en contact avec l’OFPRA.
Qu’en est-il de la procédure d’asile pour les mineurs non accompagnés ?
Les mineurs non accompagnés (MNA) demandent très peu l’asile. Ils représentent à peu près 865 demandes (chiffre par ailleurs gonflé par un nombre important de jeunes demandeurs d’asile réinstallé en France depuis la Grèce) sur un total de plus de 100.000 demandes d’asile en 2021. Cette faible proportion s’explique en partie par le fait que les travailleurs sociaux accompagnant les mineurs privilégient le plus souvent d’autres voies , notamment par la scolarité ou l’insertion professionnelle, dans l’idée que le jeune puisse obtenir un contrat lui permettant d’accéder à un droit de séjour pérenne. Mais le problème du droit de séjour finit toujours par se poser, soit à la majorité soit plus tard, surtout dans le cas d’un jeune dont le parcours ne lui a pas permis de s’insérer professionnellement de façon idéale. Il est donc probablement préférable pour le jeune de faire sa demande d’asile tant qu’il est encore mineur, car une protection asilaire lui sera le cas échéant accordée en tenant compte de sa minorité indépendamment de son parcours d’intégration en France. Le taux moyen de protection se situe habituellement autour des 25–26% pour une personne adulte, tandis qu’il est d’environ 70% pour le MNA.
Le MNA fait sa demande d’asile devant l’autorité préfectorale, laquelle reconnait ou non la qualité de mineur du demandeur. Si la minorité est contestée, le MNA peut faire recours mais les procédures sont longues. Jusqu’à il y a peu, il était possible au demandeur se déclarant mineur de continuer sa demande d’asile auprès de l’OFPRA, en attendant de recevoir la réponse du procureur. L’OFPRA, dans son instruction, prenait alors en compte la crédibilité de la minorité, c’est-à-dire qu’il se prononçait, pour les besoins de l’exercice de sa mission uniquement, sur la minorité de la personne. Aujourd’hui, le règlement de la question de la minorité au stade de l’enregistrement en préfecture évite en grande partie les risques d’appréciations divergentes entre les différentes autorités et administrations de l’État.
L’application de la procédure « Dublin » pour les personnes se déclarant mineures a incité le ministère de l’intérieur à clarifier l’incidence de la déclaration de minorité au stade de l’enregistrement de la demande d’asile en préfecture : aujourd’hui, si un demandeur se déclare mineur, l’autorité préfectorale a pour obligation de saisir le procureur pour nommer un tuteur ou un administrateur ad hoc, et mener avec lui un entretien[1]Il s’agit alors de vérifier qu’il n’y a pas dans l’Union Européenne, un membre de la famille qui peut se porter responsable de la personne mineure. Si c’est le cas, la préfecture se charge du transfert du mineur vers le pays en question, en vertu de l’intérêt supérieur de l’enfant.. Avec la mise en place de cette procédure, l’administrateur ad hoc doit être impérativement désigné avant toute demande d’asile, et la préfecture ne peut donc plus enregistrer de demande d’asile tant que celui-ci n’est pas designé.
Existe-t-il des statistiques qui font état des motifs de persécution et de l’octroi de la protection en lien avec ces motifs ?
À une époque la réglementation de la CNIL n’était pas très favorable à la production de ce type de statistiques, mais aujourd’hui, selon le droit, il serait possible de travailler dessus. Pour autant, la question n’a pas encore été traitée car d’une manière ou d’une autre, dire le motif de persécution peut revenir à catégoriser les personnes en fonction de critères sensibles comme la religion,. De la même manière, dire de quelqu’un qu’il est protégé pour « motif d’orientation sexuelle » implique très probablement, en creux, que celui-ci n’est pas hétérosexuel, puisque l’hétérosexualité n’est pas un motif de persécution et n’est donc pas un motif de protection. On pourrait évidemment tenter de dégager des grandes catégories comme « motifs religieux » ou bien « orientation sexuelle », mais cela reste délicat. Un travail sérieux doit donc être mené.
Comment expliquer des procédures d’instruction parfois longues ?
Il existe effectivement des cas où la procédure peut prendre plusieurs mois, mais ils sont tout de même assez rares. Parfois, l’OFPRA doit s’appuyer sur des recherches documentaires pour obtenir des informations sur la situation d’un pays, ou bien il peut s’agir également de dossiers difficiles qui posent des problèmes juridiques, c’est le cas par exemple quand on pense d’une personne qu’elle a commis des crimes graves dans son pays. Ce type d’information est bien évidemment plus difficile à recueillir et à analyser.
Mais plus encore, ce qui justifie le délai de traitement d’un dossier réside bien souvent plutôt dans toutes les démarches qui se placent avant l’entretien. Le nombre de demandes d’asile en proportion du nombre d’officiers fait que bien souvent, il est possible que plusieurs mois passent avant même que le dossier soit analysé pour la première fois.
A cet égard, le renforcement des moyens alloués à l’OFPRA ces dernières années a permis d’entreprendre un travail conséquent de réduction du stock de demandes en instance et permettra de traiter, à terme, les demandes dans un délai avoisinant les deux mois.
Comment a évolué le taux de protection accordé par l’OFPRA, et que peut-on dire de cette évolution ?
Depuis 2013, celui-ci est plutôt en augmentation. Il est passé d’environ 11 à 25–26% aujourd’hui. Sophie Pegliasco souligne là l’importance de la demande d’asile en elle-même, en rapport à des situations géopolitiques évidemment changeantes, année après année.
En 2014 en effet, les demandeurs d’asile constituaient majoritairement des personnes d’Europe de l’Est, dont la qualité de la demande était plutôt faible au regard du risque de persécution. En 2015, la situation en Syrie a bien évidemment donné lieu à une demande de protection provenant majoritairement d’exilés syriens. Aujourd’hui, l’une des principales populations demandant l’asile est constituée des Afghans, avec d’ailleurs un taux de protection tournant autour de 65%. C’est ce qui explique en partie l’augmentation de 2 points du taux de protection cette dernière année.
Le taux de protection accordé par l’OFPRA n’est donc pas fonction de directives politiques plus ou moins favorables à l’accueil des réfugiés. Ses fluctuations dépendent de paramètres divers, au nombre desquels la détérioration de contextes géopolitiques qui provoque l’accroissement des risques de persécution et de la violence dans certaines zones du monde.
Notes
↑1 | Il s’agit alors de vérifier qu’il n’y a pas dans l’Union Européenne, un membre de la famille qui peut se porter responsable de la personne mineure. Si c’est le cas, la préfecture se charge du transfert du mineur vers le pays en question, en vertu de l’intérêt supérieur de l’enfant. |
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