Présentation
Cette double journée d’étude se propose d’examiner les formes et les effets (politiques, sociaux, organisationnels, etc.) de l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Elle s’inscrit dans le prolongement du travail mené dans le cadre du projet ANR DisPow.
D’un point de vue juridique, le pouvoir discrétionnaire relève d’une action entreprise à l’appréciation d’une administration et/ou d’un agent public, sans que sa conduite ou décision ne lui soit dictée clairement ou de manière univoque par le droit. En principe, ce pouvoir est donc exercé par les détenteur·rice·s d’une autorité publique (centrale ou décentralisée, de maintien de l’ordre ou administrative) et se manifeste par leur liberté d’action lorsque les décisions qu’iels ont à prendre ne sont pas encadrées de façon stricte par des règles de droit et/ou des procédures détaillées (Van der Woude et Van der Leun 2017). Cette « compétence discrétionnaire » est alors accordée par la loi aux agents de l’Etat, tels que les fonctionnaires administratif·ve·s (Laurens 2008, Miaz 2019). Elle permet, du moins en théorie, de distinguer « pouvoir discrétionnaire » et « mesures arbitraires », les dernières renvoyant à des pratiques abusives car prises manifestement en décalage par rapport aux textes juridiques, aux procédures, ou aux compétences attribuées aux agents concernés (Chauvet 2009). Néanmoins, les textes peuvent se prêter à des interprétations tellement différentes (ou rentrer en conflit entre eux) que la frontière entre discrétionnaire et arbitraire est parfois difficile à tracer (Fassin 2014, Campbell 1999).
Si l’existence d’un pouvoir discrétionnaire est consubstantielle à l’activité des agents de l’Etat (fonctionnaires préfectoraux, forces de l’ordre, magistrats etc.), l’actualité politique (des violences policières aux questionnements que soulève la gestion récente des crises sanitaires et sociales) encourage à approfondir la compréhension des logiques et pratiques relevant du pouvoir discrétionnaire via la comparaison entre plusieurs terrains d’enquête et plusieurs groupes d’acteur·rice·s (dans le domaine de la santé, de la justice, de l’éducation, du travail, de la culture, etc.).
Dans le cadre du projet DisPow, les enquêtes menées ont exploré les multiples facettes du pouvoir discrétionnaire en pratique(s) en se focalisant à la fois sur des territoires spécifiques, les frontières, et sur un champ juridique particulier, le droit des étranger·e·s : en effet, ces deux focales permettaient de montrer à quel point l’imprécision des critères législatifs ou règlementaires laisse la possibilité – ou impose la responsabilité – aux acteurs publics mais aussi privés de choisir comment interpréter les règles ou consignes et donc comment agir face à une situation concrète, avec comme conséquences principales, d’une part, des pratiques très disparates selon le territoire, l’organisation du service, les enjeux réputationnels au sein du groupe, etc., et d’autre part, un accès des étranger·e·s à leurs droits très aléatoire. Ainsi, nous avons commencé à explorer les formes et les effets d’un pouvoir discrétionnaire qui désigne la sphère d’autonomie à l’intérieur de laquelle les agents de l’administration (Spire 2008, Dubois 2009), mais aussi les « faiseurs de frontière » (transporteurs, contrôleurs, agents de sécurité etc.) (Guenebeaud 2019) et les accompagnant·e·s (juristes bénévoles, avocat·e·s, activistes) (Lendaro 2021) peuvent prendre différentes décisions au sujet des personnes en situation de migration, et ce, pas forcément en l’absence d’une règle mais plus souvent en présence d’une multiplicité d’injonctions ou de suggestions dont le degré de contrainte varie (Parrot 2019).
A la suite d’une première journée d’étude qui s’est tenue en ligne en décembre 2020, cette double journée d’étude a vocation à faire dialoguer des travaux empiriques, épistémologiques et méthodologiques consacrés aux modalités concrètes de l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans différents domaines, à sa conceptualisation, comme aux stratégies d’enquête et d’interprétation des données.
Quelles sont les manifestations de ce pouvoir et que nous disent-elles de phénomènes sociaux plus globaux tels que l’évolution des inégalités entre groupes sociaux, l’effectivité des libertés publiques, la défiance envers les institutions, ou encore la place du droit dans les mouvements sociaux ? Comment les chercheur·e·s composent-iels en pratique avec les spécificités de ce pouvoir, afin de le soumettre à investigation ?
Programme Sessions JE Le pouvoir discrétionnaire en pratique