Au-delà des chiffres, comprendre la migration (Table ronde) — Dimanche 26 septembre 2021 de 14h à 15h30, Cour du Centre de la Vieille Charité

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Avec Olivier Clochard, François Héran & Lama Kabbanji, modérée par Caroline Lachowsky (journaliste, RFI)

Qu’est-ce qui pousse tant d’individus, de couples, de familles ou de groupes d’amis à changer dura­ble­ment de pays ? Est-ce une contrainte poli­tique, un conflit armé, une pres­sion sociale, une raison écono­mique, une mesure juri­dique, un problème de santé, un chan­ge­ment clima­tique, un projet de forma­tion ? Les États donnent des réponses simples à ces ques­tions. Les titres de séjours qu’ils délivrent sont divisés en caté­go­ries bien tran­chées. Dans la vie réelle, toute­fois, les moti­va­tions sont complexes (où classer le désir d’émancipation, par exemple ?). Elles peuvent se combiner ou changer au fil du temps. Les unions et les nais­sances créent des situa­tions mixtes. Le même type de dossier ne sera pas traité de la même façon par le « pouvoir d’appréciation » du préfet. L’admission au séjour dépend aussi du soutien local apporté par les asso­cia­tions, qui peut être variable.

Entre le maquis des lois, décrets, circu­laires et instruc­tions, d’une part, et le jeu des aléas et des impon­dé­rables, de l’autre, il y a place pour la capa­cité d’agir. Les migrant.e.s e sont des porteurs de projets. Loin d’être simple­ment une charge pour le pays d’accueil, ce sont aussi, au fil du cycle de vie, des produc­teurs, des coti­sants, des contri­buables, des épar­gnants, des consommateurs…

Comment cerner un phéno­mène aussi divers que la migra­tion inter­na­tio­nale ? En mobi­li­sant un large éven­tail de disci­plines : démo­gra­phie, géogra­phie, histoire, économie, droit, socio­logie, anthro­po­logie, science poli­tique… Une première approche des migra­tions est quan­ti­ta­tive : il faut préciser les ordres de gran­deur, peser les facteurs posi­tifs ou néga­tifs de l’insertion, mener des compa­rai­sons dans le temps et dans l’espace, mesurer l’ampleur des inéga­lités et des discri­mi­na­tions, que ce soit par voie d’enquêtes ou par des testings à grande échelle.

Mais l’enquête doit aussi se faire quali­ta­tive. C’est le seul moyen de cerner les moti­va­tions et les attentes, de décrire les épreuves et les réus­sites, d’interroger les systèmes de valeurs et les percep­tions. Nous manquons d’imagination sur ce point. Il faut s’intéresser davan­tage aux archives privées (échange de cour­riers, trans­mis­sion d’objets et de souve­nirs), consti­tuer des recueils de récits de vie, conce­voir aussi des cartes ou des dessins d’un nouveau genre, qui retracent, fût-ce partiel­le­ment, la dyna­mique des parcours indi­vi­duels avec leurs tour­nants et leurs ruptures.

Reste à s’interroger sur les scien­ti­fiques eux-mêmes et, notam­ment, sur la place qu’y occupent les cher­cheurs étran­gers ou issus de la migra­tion. Cette qualité ne les dispense pas d’acquérir les méthodes des sciences sociales, mais, une fois cette condi­tion remplie, il est indé­niable que leur expé­rience contribue à renou­veler le regard. On a pu voir ainsi qu’une enquête fran­çaise sur la mobi­lité inter­na­tio­nale des élites gagnait beau­coup à mobi­liser des cher­cheurs étran­gers ou issus de l’im­mi­gra­tion. Dans ce domaine, la recherche fran­çaise a encore du chemin à faire.