« Coronavirus : la grande insécurité des étudiants étrangers au Canada », Carlo Handy Charles, The Conversation, 22 mars 2020

Coronavirus : la grande insécurité des étudiants étrangers au Canada

Une scène à l’aé­ro­port Pierre-Eliott-Trudeau, à Mont­réal. Les annonces du Canada concer­nant sa fron­tière tend à insé­cu­riser les étudiants étrangers.
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Carlo Handy Charles, McMaster Univer­sity

Les annonces de ferme­ture de la fron­tière cana­dienne ont plongé des étudiants étran­gers et d’autres ressor­tis­sants dans une inquié­tude en montagnes russes qui met en danger leur bien-être et leur sécurité.

Depuis l’interdiction de voyager imposée par le président améri­cain Donald Trump aux citoyens des pays à forte popu­la­tion musul­mane en 2017, le Canada a renforcé sa posi­tion de pays d’accueil pour les étudiants inter­na­tio­naux. En 2017, près de 500 000 d’entre eux sont venus étudier au Canada.

Cepen­dant, le 16 mars, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que le Canada pren­drait des mesures plus contrai­gnantes pour limiter la propa­ga­tion du Covid-19. Il a déclaré que le gouver­ne­ment refu­se­rait « l’entrée au Canada à des personnes qui ne sont pas des citoyens cana­diens ou des rési­dents perma­nents », à l’exception des Améri­cains.

Cette annonce a soulevé des inquié­tudes quant aux raisons pour lesquelles le Canada a choisi de garder sa fron­tière ouverte aux Améri­cains. Les États-Unis sont la prin­ci­pale source de touristes inter­na­tio­naux au Canada : en 2015, plus de 22 millions d’Américains ont séjourné au Canada.

Puis, deux jours plus tard, le 18 mars, Trudeau a annoncé que les voya­geurs améri­cains ne seraient plus auto­risés non plus à traverser la fron­tière pour « loisirs et tourisme », affir­mant que dans les deux pays, les citoyens sont encou­ragés à rester chez eux.

Au milieu d’une vague de messages inquiets sur les médias sociaux par des rési­dents étran­gers, y compris de nombreux étudiants, le ministre de la Sécu­rité publique, Bill Blair, a déclaré que les étudiants inter­na­tio­naux, les travailleurs avec visa et les travailleurs étran­gers tempo­raires seront auto­risés à entrer au Canada mais devront s’auto-isoler pendant 14 jours.

Cepen­dant, à court terme, il est loin d’être clair que les annonces faites par le gouver­ne­ment cana­dien offri­ront aux étudiants inter­na­tio­naux ou aux travailleurs étran­gers tempo­raires un senti­ment de sécurité.

Certains étudiants étran­gers ou rési­dents tempo­raires à la fron­tière ont été empê­chés de revenir au Canada lundi, a rapporté Radio-Canada.

Le 18 mars, le gouver­ne­ment du Canada a offi­ciel­le­ment publié une liste des personnes exemp­tées par cette mesure. Cepen­dant, cette liste n’a pas expli­ci­te­ment mentionné que les étudiants étran­gers ou les travailleurs tempo­raires seraient auto­risés à retourner au Canada s’ils se trou­vaient actuel­le­ment à l’étranger.

Le 20 mars, le gouver­ne­ment du Canada a publié une nouvelle liste exemp­tant les étudiants inter­na­tio­naux, les travailleurs et d’autres rési­dents tempo­raires des restric­tions de voyage annon­cées par le premier ministre en début de semaine.

Ces messages chan­geants en peu de temps indiquent-ils que les étudiants inter­na­tio­naux doivent se préoc­cuper à l’avenir de leur mobi­lité et de leurs études ? Le bien-être de ces étudiants et d’autres rési­dents tempo­raires au Canada peut être affecté par l’incertitude quant à savoir si la fron­tière pour­rait leur être éven­tuel­le­ment fermée.

Conséquences potentielles

Il est impor­tant de comprendre comment les rési­dents tempo­raires, comme les étudiants inter­na­tio­naux, les travailleurs et les autres au statut précaire, qui vivent léga­le­ment, étudient et travaillent au Canada depuis des mois ou des années, ont été touchés par ces annonces.

Mes recherches sur le statut précaire des migrants et deman­deurs d’asile en situa­tion de rési­dence tempo­raire mettent en évidence les réper­cus­sions socio-psycho­lo­giques de leur statut précaire sur leur vie post-migra­toire dans leur pays d’accueil.

D’autres recherches en sciences sociales montrent qu’il est impor­tant de porter une atten­tion parti­cu­lière sur le fait que vivre avec un statut juri­dique précaire peut avoir une inci­dence sur le bien-être et les senti­ments d’appartenance et de soutien social des enfants et des familles.

Vivre avec un statut précaire, notam­ment en raison de l’évolution des nouvelles et des messages, peut avoir un impact sur le bien-être des enfants et des familles.
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Les rési­dents tempo­raires sont-ils devenus des étran­gers à usage unique dans le cadre de la pandémie de la COVID-19 ? En effet, comme ils n’ont pas été abordés dans l’annonce initiale de Justin Trudeau, ils se demandent peut-être si leur statut mérite la consi­dé­ra­tion et la protec­tion de l’État cana­dien, ou s’il s’agit d’un élément qui peut être éliminé en temps de crise.

Il est compré­hen­sible que les mesures du gouver­ne­ment fédéral visent à protéger les Cana­diens et les rési­dents perma­nents du Canada. Il est égale­ment clair que « nous traver­sons une période assez critique » pour ralentir la propa­ga­tion du COVID-19, comme l’a dit la Dre Theresa Tam, chef de l’Agence de santé publique du Canada.

Et il est plus que clair que nous devons suivre les recom­man­da­tions du gouver­ne­ment fédéral et, dans le cas du Québec, celles du premier ministre Fran­çois Legault, en matière de distan­cia­tion sociale pour limiter la propa­ga­tion du virus.

Cepen­dant, pour ceux qui ont vécu, étudié et travaillé au Canada pendant des mois ou des années, ces annonces de ferme­ture des fron­tières soulèvent des préoc­cu­pa­tions quant à la façon dont nous devrions nous entraider en pleine pandémie de la COVID-19 tout en respec­tant les droits humains et la dignité.

Respect des droits de la personne

Comme l’a recom­mandé le Haut Commis­sa­riat des Nations unies pour les réfu­giés, les États ont bien entendu le droit de prendre des mesures pour déter­miner et gérer les risques pour la santé publique, y compris ceux qui pour­raient survenir en cas d’arrivée de non-ressor­tis­sants à leurs fron­tières. Ces mesures doivent être non discri­mi­na­toires ainsi que néces­saires, propor­tion­nées et raison­nables dans le but de protéger la santé publique.

La ferme­ture de la fron­tière du Canada a contredit les recom­man­da­tions de l’OMS. En effet, l’OMS exhorte tous les pays à « trouver un juste équi­libre entre la protec­tion de la santé, la réduc­tion des pertur­ba­tions écono­miques et sociales et le respect des droits humains ». Les mesures cana­diennes visant à fermer la fron­tière aux étudiants inter­na­tio­naux, travailleurs tempo­raires et à d’autres rési­dents tempo­raires le 16 mars dernier ont empêché ces personnes qui vivent, étudient et travaillent au Canada depuis des mois ou des années d’exercer leurs droits pour rejoindre leurs familles et domi­ciles au Canada.

La Corée du Sud, par exemple, est reconnue pour avoir mis en œuvre des mesures de test, de quaran­taine et de suivi effi­caces pour ralentir la propa­ga­tion du COVID-19 sans mettre en œuvre un verrouillage.

Mesures de secours ?

Quelles mesures de protec­tion et de secours les étudiants et les travailleurs étran­gers tempo­raires peuvent-ils attendre du gouver­ne­ment fédéral ?

Après tout, Ottawa a annoncé qu’aucun Cana­dien ne devrait s’inquiéter du paie­ment du loyer, de l’épicerie et des services de garde supplé­men­taires pendant la pandémie de COVID-19.

Les étudiants inter­na­tio­naux sont clai­re­ment préoc­cupés par leur situa­tion précaire. Le Canada offrira-t-il égale­ment des mesures d’aide ou de soutien offi­ciel aux étudiants étran­gers, comme l’allé­ge­ment du loyer ?

De nombreux étudiants étran­gers sont inquiets quant à l’avenir de leurs études au Canada.
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Statut précaire et bien-être

L’annonce par le premier ministre de la ferme­ture de la fron­tière cana­dienne à tous les étran­gers peut avoir un impact signi­fi­catif sur la santé mentale et physique des étudiants inter­na­tio­naux qui sont des rési­dents tempo­raires au Canada et qui vivent et travaillent au pays.

La santé et le bien-être des étudiants peuvent avoir été affectés par le fait de savoir que s’ils quit­taient le pays, ils n’auraient pas pu y revenir pour pour­suivre leurs études, leurs recherches ou leur travail. Cela pour­rait égale­ment avoir une inci­dence sur l’économie cana­dienne dans l’avenir.

En 2015 et 2016, respec­ti­ve­ment, les étudiants étran­gers au Canada ont dépensé environ 12,8 milliards de dollars et 15,5 milliards de dollars en frais de scola­rité, d’hébergement et de dépenses discré­tion­naires. Comment l’évolution des messages du gouver­ne­ment fédéral sur l’accueil des étudiants étran­gers au Canada affec­tera-t-elle l’économie ?

La compassion canadienne

Au milieu de la pandémie du COVID-19, le Canada a fait preuve de compas­sion envers les personnes les plus vulné­rables. Par exemple, le gouver­ne­ment fédéral a mis fin aux expul­sions d’étrangers de statut précaire, à l’exception de cas graves pendant trois semaines.

Cepen­dant, le manque de consi­dé­ra­tion initial du Canada pour les étudiants inter­na­tio­naux et les autres rési­dents tempo­raires lorsqu’il a annoncé qu’il fermait la fron­tière semble étran­ge­ment mal conçu et insen­sible compte tenu des efforts constants du pays pour recruter des étudiants inter­na­tio­naux afin de conti­nuer à améliorer l’économie et la répu­ta­tion inter­na­tio­nale du Canada.

Même si elles ont été corri­gées quatre jours plus tard, les déci­sions et les messages du Canada nous incitent à réflé­chir à la façon dont nous devrions appli­quer des mesures de distan­cia­tion sociale qui ne soient pas nuisibles aux autres et qui protègent toujours la dignité humaine. Nous devons répondre aux préoc­cu­pa­tions popu­laires tout en restant atten­tifs, réflé­chis et accueillants les uns envers les autres.The Conversation

Carlo Handy Charles, Teaching and Research Assis­tant and Joint Ph.D. Student in Socio­logy and Geography, McMaster Univer­sity

Cet article est repu­blié à partir de The Conver­sa­tion sous licence Crea­tive Commons. Lire l’article original.