Coordination du numéro : Charlotte Watelet (EHESS/CETOBaC)
Cet appel à contribution a pour objectif la réalisation d’un numéro thématique à paraître dans la revue E‑migrinter. Ce numéro sera consacré à l’étude des camps, dans la diversité des formes qu’ils peuvent prendre, et des dynamiques d’encampement, c’est-à-dire du processus par lequel un espace de regroupement provisoire s’établit dans la durée et s’aménage, à travers l’action de ses habitants et malgré l’incertitude, en un lieu de vie. Né de la volonté de consolider ce champ d’étude et d’explorer la dimension dynamique de l’encampement, ce numéro thématique vise à explorer les territoires de l’attente à partir des expériences qu’ils génèrent et à étudier la relationnalité qui s’opère entre les lieux de vie provisoire et les personnes qui s’y confrontent, c’est-à-dire la manière dont ces deux ensembles se répondent et se façonnent l’un l’autre.
En privilégiant des contributions susceptibles de représenter, dans leur ensemble, l’hétérogénéité de lieux qui dessine le paysage polymorphe des camps (espaces humanitaires, campements urbains, centres d’hébergement, etc.), dont le propre est d’être provisoire et de regrouper, de manière organisée ou spontanée, des populations migrantes, ce numéro entend observer ces zones de relégation multiples comme des espaces sociaux à part entière. Si la temporalité incertaine qui les caractérise et la dimension a priori transitoire de ce type d’habitat détermine des formes spatiales et des conditions d’existence particulières, reflets de l’attente comme horizon de vie, la pratique collective de ces lieux, leur physionomie et le sens politique qu’ils recouvrent engendrent des usages, des relations et des modes d’organisation qui témoignent du « potentiel d’autonomie » et de l’inventivité qui découlent des situations de marginalisation collective (Wacquant, 2009). C’est cette multiplicité de possibles que ce numéro souhaite interroger, invitant à articuler l’analyse de la domination socio-spatiale à celle des processus infinis de résistance et de réappropriation pour penser l’expérience de l’encampement et la variété des trajectoires qu’elle engendre.
Considérant l’encampement comme un processus infini, au cours duquel les sujets affrontent l’attente, la marginalité, l’abandon ou l’arbitraire des dispositifs bureaucratiques, et face auxquels ils se recomposent, il s’agira d’étudier les métamorphoses qui émanent de ce processus, c’est-à-dire ce que l’encampement produit. Qu’est-ce qui se joue au sein de ces espaces et à travers la dimension temporaire des modes d’habiter – et plus largement des pratiques et des réseaux qui s’y développent ? Que permettent ces formes de vie et de relations ? Quelles perspectives sociales et politiques ouvrent-elle ? En étudiant la multiplicité des expériences qui émergent de l’interaction entre ces territorialités éphémères et leurs habitants, ce numéro invite à explorer les labyrinthes qui se dessinent à travers l’encampement, de hiérarchies, de pouvoir, de solidarités, de langues, de subjectivités, d’imaginaires, de mémoires, etc. Ainsi, plutôt que de se focaliser sur la vulnérabilité produite et sur l’exception qui régit ces espaces, il s’agira d’observer ces derniers comme des lieux de créations et de métamorphoses. Certes, les territoires de l’attente sont le produit de l’externalisation des politiques migratoires et de l’arbitraire des États-nations mais ils finissent par modifier l’expérience-même de l’attente et de l’exil ainsi que leurs représentations.
Observer les modalités de transformations impulsées par l’encampement et les potentialités qui naissent de cette expérience impliquera de s’intéresser à l’organisation interne de ces espaces, d’étudier les dynamiques à l’œuvre et de prendre en compte l’ensemble des acteurs en présence. Que ce soit les populations qui y résident, le personnel humanitaire, les membres des autorités locales, celles et ceux qu’Alexandra Galitzine-Loumpet appelle les « engagés » (« ensemble des acteurs non-salariés, présents de leur propre chef […] – associatifs, bénévoles individuel, militant, artiste, etc. », 2016 : 118) ou même le chercheur, tous sont pris dans un ensemble de relations et s’insèrent dans des rapports de pouvoir, s’ajustant, à sa façon, à la situation sociale ainsi créée. Les territoires de l’attente apparaissent ainsi comme des lieux que chacun expérimente en fonction d’objectifs propres, les gestes et les paroles des différents acteurs se déployant comme des actions, au sens de Jean Bazin, et non comme des évènements dont il s’agirait de déceler les causes (2000). En suivant cette perspective, les résidents agiraient alors pour résister à la « soumission prévue par l’attente » (Manac’h et Yahiaoui, 2021 : 38), lutter contre le désengagement des États et la violence des frontières, autrement dit pour se réapproprier un lieu propre et s’assurer une vie soutenable.
Appréhender les territoires de l’attente comme des espaces sociaux à part entière ne signifie pas relativiser la dimension violente de l’encampement mais permet plutôt d’éviter toute essentialisation, de généraliser ou même d’exceptionnaliser les situations d’encampement, et ce afin de mieux cerner ce processus, lequel impacte l’ensemble des acteurs en présence. Cette approche dynamique de l’encampement invite ainsi à déjouer le regard uniformisé sur la « masse » qui peuple ces espaces1 et à regarder leurs résidents comme des sujets actifs et des acteurs sociaux, tout en analysant la stabilisation d’une condition d’indétermination propre au fait d’être « encampé ». Elle invite par ailleurs à désenclaver ces territoires, tous façonnés par les environnements dans lesquels ils s’inscrivent – même à travers leur marginalité. Aussi, ce numéro prend le contrepied de la représentation du camp comme non-lieu, postulant au contraire que cet espace, quelle que soit la forme qu’il prend, est traversé par un ensemble d’identités, de relations et d’histoires. Certes rendus présents par et pour l’arrivée de demandeurs d’asile, les territoires de l’attente n’enferment pas seulement l’exil : c’est à partir d’une multitude de mémoires et de pratiques, que ces lieux, éternellement mobiles, doivent se lire.
Travailler sur le processus d’encampement, les dynamiques produites, les différentes manières d’appliquer, de pratiquer ou de déjouer l’attente, sur le mouvement des subjectivités et des espaces eux-mêmes nécessite une approche à la fois micro-locale et empirique. Cet appel à publication souhaite donc solliciter des contributions qui relèvent d’enquêtes in situ, sans conditions méthodologiques ni disciplinaires particulières ; les contributions pourront être issues de l’ensemble des sciences humaines et sociales. La volonté de représenter la diversité des lieux d’installation provisoire, de souligner la variabilité des modes de fonctionnement et de mettre en lumière la multiplicité des expériences laisse libre la question de l’environnement ; que les études portent sur des situations européennes, sur des camps humanitaires installés dans les pays du Sud, qu’elles se situent en milieu rural ou urbain, ce numéro prendra en compte l’ensemble des espaces qui constituent les territoires de l’attente.
Calendrier : Envoi des propositions d’articles (3000 signes maximum, bibliographie non incluse) avant le 1er décembre 2024
Sélection des propositions d’articles le 20 décembre 2024
Soumission des articles avant le 1er avril 2025
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