AAC : « Trajectoire d’encampement », revue E‑migrinter n°26 — LIMITE : 1er décembre 2024

Coor­di­na­tion du numéro : Char­lotte Watelet (EHESS/​CETOBaC)

Cet appel à contri­bu­tion a pour objectif la réali­sa­tion d’un numéro théma­tique à paraître dans la revue E‑migrinter. Ce numéro sera consacré à l’étude des camps, dans la diver­sité des formes qu’ils peuvent prendre, et des dyna­miques d’encampement, c’est-à-dire du processus par lequel un espace de regrou­pe­ment provi­soire s’établit dans la durée et s’aménage, à travers l’action de ses habi­tants et malgré l’incertitude, en un lieu de vie. Né de la volonté de conso­lider ce champ d’étude et d’explorer la dimen­sion dyna­mique de l’encampement, ce numéro théma­tique vise à explorer les terri­toires de l’attente à partir des expé­riences qu’ils génèrent et à étudier la rela­tion­na­lité qui s’opère entre les lieux de vie provi­soire et les personnes qui s’y confrontent, c’est-à-dire la manière dont ces deux ensembles se répondent et se façonnent l’un l’autre.

En privi­lé­giant des contri­bu­tions suscep­tibles de repré­senter, dans leur ensemble, l’hétérogénéité de lieux qui dessine le paysage poly­morphe des camps (espaces huma­ni­taires, campe­ments urbains, centres d’hébergement, etc.), dont le propre est d’être provi­soire et de regrouper, de manière orga­nisée ou spon­tanée, des popu­la­tions migrantes, ce numéro entend observer ces zones de relé­ga­tion multiples comme des espaces sociaux à part entière. Si la tempo­ra­lité incer­taine qui les carac­té­rise et la dimen­sion a priori tran­si­toire de ce type d’habitat déter­mine des formes spatiales et des condi­tions d’existence parti­cu­lières, reflets de l’attente comme horizon de vie, la pratique collec­tive de ces lieux, leur physio­nomie et le sens poli­tique qu’ils recouvrent engendrent des usages, des rela­tions et des modes d’organisation qui témoignent du « poten­tiel d’autonomie » et de l’inventivité qui découlent des situa­tions de margi­na­li­sa­tion collec­tive (Wacquant, 2009). C’est cette multi­pli­cité de possibles que ce numéro souhaite inter­roger, invi­tant à arti­culer l’analyse de la domi­na­tion socio-spatiale à celle des processus infinis de résis­tance et de réap­pro­pria­tion pour penser l’expérience de l’encampement et la variété des trajec­toires qu’elle engendre.

Consi­dé­rant l’encampement comme un processus infini, au cours duquel les sujets affrontent l’attente, la margi­na­lité, l’abandon ou l’arbitraire des dispo­si­tifs bureau­cra­tiques, et face auxquels ils se recom­posent, il s’agira d’étudier les méta­mor­phoses qui émanent de ce processus, c’est-à-dire ce que l’encampement produit. Qu’est-ce qui se joue au sein de ces espaces et à travers la dimen­sion tempo­raire des modes d’habiter – et plus large­ment des pratiques et des réseaux qui s’y déve­loppent ? Que permettent ces formes de vie et de rela­tions ? Quelles pers­pec­tives sociales et poli­tiques ouvrent-elle ? En étudiant la multi­pli­cité des expé­riences qui émergent de l’interaction entre ces terri­to­ria­lités éphé­mères et leurs habi­tants, ce numéro invite à explorer les laby­rinthes qui se dessinent à travers l’encampement, de hiérar­chies, de pouvoir, de soli­da­rités, de langues, de subjec­ti­vités, d’imaginaires, de mémoires, etc. Ainsi, plutôt que de se foca­liser sur la vulné­ra­bi­lité produite et sur l’exception qui régit ces espaces, il s’agira d’observer ces derniers comme des lieux de créa­tions et de méta­mor­phoses. Certes, les terri­toires de l’attente sont le produit de l’externalisation des poli­tiques migra­toires et de l’arbitraire des États-nations mais ils finissent par modi­fier l’expérience-même de l’attente et de l’exil ainsi que leurs représentations.

Observer les moda­lités de trans­for­ma­tions impul­sées par l’encampement et les poten­tia­lités qui naissent de cette expé­rience impli­quera de s’intéresser à l’organisation interne de ces espaces, d’étudier les dyna­miques à l’œuvre et de prendre en compte l’ensemble des acteurs en présence. Que ce soit les popu­la­tions qui y résident, le personnel huma­ni­taire, les membres des auto­rités locales, celles et ceux qu’Alexandra Galit­zine-Loumpet appelle les « engagés » (« ensemble des acteurs non-sala­riés, présents de leur propre chef […] – asso­cia­tifs, béné­voles indi­vi­duel, mili­tant, artiste, etc. », 2016 : 118) ou même le cher­cheur, tous sont pris dans un ensemble de rela­tions et s’insèrent dans des rapports de pouvoir, s’ajustant, à sa façon, à la situa­tion sociale ainsi créée. Les terri­toires de l’attente appa­raissent ainsi comme des lieux que chacun expé­ri­mente en fonc­tion d’objectifs propres, les gestes et les paroles des diffé­rents acteurs se déployant comme des actions, au sens de Jean Bazin, et non comme des évène­ments dont il s’agirait de déceler les causes (2000). En suivant cette pers­pec­tive, les rési­dents agiraient alors pour résister à la « soumis­sion prévue par l’attente » (Manac’h et Yahiaoui, 2021 : 38), lutter contre le désen­ga­ge­ment des États et la violence des fron­tières, autre­ment dit pour se réap­pro­prier un lieu propre et s’assurer une vie soutenable.

Appré­hender les terri­toires de l’attente comme des espaces sociaux à part entière ne signifie pas rela­ti­viser la dimen­sion violente de l’encampement mais permet plutôt d’éviter toute essen­tia­li­sa­tion, de géné­ra­liser ou même d’exceptionnaliser les situa­tions d’encampement, et ce afin de mieux cerner ce processus, lequel impacte l’ensemble des acteurs en présence. Cette approche dyna­mique de l’encampement invite ainsi à déjouer le regard unifor­misé sur la « masse » qui peuple ces espaces1 et à regarder leurs rési­dents comme des sujets actifs et des acteurs sociaux, tout en analy­sant la stabi­li­sa­tion d’une condi­tion d’indétermination propre au fait d’être « encampé ». Elle invite par ailleurs à désen­claver ces terri­toires, tous façonnés par les envi­ron­ne­ments dans lesquels ils s’inscrivent – même à travers leur margi­na­lité. Aussi, ce numéro prend le contre­pied de la repré­sen­ta­tion du camp comme non-lieu, postu­lant au contraire que cet espace, quelle que soit la forme qu’il prend, est traversé par un ensemble d’identités, de rela­tions et d’histoires. Certes rendus présents par et pour l’arrivée de deman­deurs d’asile, les terri­toires de l’attente n’enferment pas seule­ment l’exil : c’est à partir d’une multi­tude de mémoires et de pratiques, que ces lieux, éter­nel­le­ment mobiles, doivent se lire.

Travailler sur le processus d’encampement, les dyna­miques produites, les diffé­rentes manières d’appliquer, de prati­quer ou de déjouer l’attente, sur le mouve­ment des subjec­ti­vités et des espaces eux-mêmes néces­site une approche à la fois micro-locale et empi­rique. Cet appel à publi­ca­tion souhaite donc solli­citer des contri­bu­tions qui relèvent d’enquêtes in situ, sans condi­tions métho­do­lo­giques ni disci­pli­naires parti­cu­lières ; les contri­bu­tions pour­ront être issues de l’ensemble des sciences humaines et sociales. La volonté de repré­senter la diver­sité des lieux d’installation provi­soire, de souli­gner la varia­bi­lité des modes de fonc­tion­ne­ment et de mettre en lumière la multi­pli­cité des expé­riences laisse libre la ques­tion de l’environnement ; que les études portent sur des situa­tions euro­péennes, sur des camps huma­ni­taires installés dans les pays du Sud, qu’elles se situent en milieu rural ou urbain, ce numéro prendra en compte l’ensemble des espaces qui consti­tuent les terri­toires de l’attente.

Calen­drier : Envoi des propo­si­tions d’articles (3000 signes maximum, biblio­gra­phie non incluse) avant le 1er décembre 2024

Sélec­tion des propo­si­tions d’articles le 20 décembre 2024

Soumis­sion des articles avant le 1er avril 2025

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