Exilé•es LGBT+ : des rapports aux compatriotes complexifiés par la procédure de demande d’asile

Florent Chossière, géographe

En France, les exilé.es LGBT+ entre­tiennent diverses rela­tions avec leurs compa­triotes. Toute­fois, les contraintes de la demande d’asile complexi­fient ces rela­tions, entre besoin et méfiance, mise à distance et volonté d’éviter l’isolement.

Les discours média­tiques asso­cient souvent les exilé.es LGBT+ à une « double peine » : dans le pays d’arrivée, ils et elles font face d’un côté au racisme, à la xéno­phobie et aux poli­tiques migra­toires restric­tives, de l’autre aux LGBT­pho­bies des « commu­nautés » immi­grées. Si une telle image permet d’insister sur la multi­pli­cité des diffi­cultés rencon­trées, elle peine à rendre compte avec justesse de la réalité. En établis­sant une lecture cloi­sonnée qui fait reposer unique­ment et simple­ment les expé­riences de LGBT­pho­bies sur les compa­triotes des exilé.es, elle empêche de saisir le rôle des poli­tiques et dispo­si­tifs d’asile dans ces expériences.
En France, la condi­tion de deman​deur​.se d’asile induit une forte préca­rité maté­rielle. Le faible montant de l’allocation pour demandeur.ses d’asile ne permet pas de répondre aux besoins de survie élémen­taires, alors même qu’il leur est léga­le­ment interdit de travailler, sauf cas excep­tion­nels. En paral­lèle, beau­coup de demandeur.ses d’asile ne se voient pas attri­buer d’hébergement dans le cadre du Dispo­sitif national d’accueil. Dans ce contexte, les compa­triotes peuvent fournir des ressources précieuses, comme l’accès à un héber­ge­ment ou à des acti­vités rémunérées. 

Cela crée toute­fois des liens de dépen­dance à leur égard, alors que les demandeur.ses d’asile LGBT+ peuvent craindre des réac­tions hostiles liées à leur orien­ta­tion sexuelle ou iden­tité de genre (OSIG) mino­ri­taire. Ainsi, les expé­riences de LGBT­pho­bies ne peuvent être disso­ciées des formes d’exposition et de la limi­ta­tion de l’autonomie qu’engendre la préca­rité maté­rielle insti­tuée par le sous-cali­brage des dispo­si­tifs d’accueil.

« Les expériences de LGBTphobies ne peuvent être dissociées des formes d’exposition et de la limitation de l’autonomie qu’engendre la précarité matérielle instituée par le sous-calibrage des dispositifs d’accueil. »

De plus, l’engagement dans une demande d’asile induit une mise en visi­bi­lité de l’OSIG mino­ri­taire. La fréquen­ta­tion de certains lieux, liée à la réali­sa­tion de cette procé­dure, les papiers qui y sont asso­ciés, ou encore de simples conver­sa­tions sur le statut admi­nis­tratif – et avec lui sur le motif de la demande d’asile -, sont autant de situa­tions qui peuvent publi­ciser cette infor­ma­tion. Celles et ceux qui s’attachent à dissi­muler leur homo­sexua­lité, bisexua­lité ou tran­si­den­tité, s’attèlent alors parfois tout autant à ne pas dévoiler leur enga­ge­ment dans une demande d’asile.

Le carac­tère taxi­no­mique des caté­go­ries migra­toires vient donc complexi­fier la gestion de l’information du stig­mate pour les exilé.es LGBT+, là où ils et elles peuvent vouloir limiter cette diffu­sion pour éviter des ruptures de lien avec des compa­triotes en France ou dans le pays d’origine.

Pour aller plus loin

Chos­sière, F. (2020). Mino­rités sexuelles en exil : l’expérience mino­ri­taire en ville à l’aune de margi­na­li­sa­tions multiples, Urba­nités, #13, Minorités/​Majorités. https://​www​.revue​-urba​nites​.fr/​1​3​-​c​h​o​s​siere/
Chos­sière, F. (2021). Refu­gee­ness, Sexua­lity, and Gender : Spatia­lized Lived Expe­riences of Inter­sec­tio­na­lity by Queer Asylum Seekers and Refu­gees in Paris. Fron­tiers In Human Dyna­mics, 3. https://​doi​.org/​1​0​.​3​3​8​9​/​f​h​u​m​d​.​2​0​2​1​.​634009
Bouchet-Mayer, C. & Ferez, S. (2023). Le poids des dispo­si­tions pour survivre et préparer les épreuves de l’asile. Enquête auprès des deman­deurs d’asile homo­sexuels exclus du dispo­sitif national d’accueil. Revue euro­péenne des migra­tions inter­na­tio­nales, 39. 161–183. https://​doi​.org/​1​0​.​4​0​0​0​/​r​e​m​i​.22339

L’auteur

Florent Chos­sière est docteur en géogra­phie, cher­cheur post­doc­toral et coor­di­na­teur scien­ti­fique du dépar­te­ment INTEGER à l’IC Migra­tions. Il est égale­ment cher­cheur associé au labo­ra­toire Analyse Comparée des Pouvoirs de l’Université Gustave Eiffel et membre du groupe de recherche JEDI (Justice, Espace, Discri­mi­na­tions, Inéga­lités) du labex Futurs Urbains – Univer­sité Paris Est.

Citer cet article

Florent Chos­sière, « Exilé•es LGBT+ : des rapports aux compa­triotes complexi­fiés par la procé­dure de demande d’asile », in : Florent Chos­sière et Aude Rieu, Dossier « Exils LGBT+ », De facto Actu [En ligne], 3 | Mai 2024
URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2024/05/13/defacto-actu-003–03/

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