Marianne Amar, historienne & Emmanuel Blanchard, politiste et historien
Pour cette rubrique, nous avons fait le choix de présenter deux projets récents ou en cours de réalisation : d’une part, le nouveau parcours permanent du Musée national de l’histoire de l’immigration, inauguré en juin dernier ; d’autre part le projet de recherche « GISTI50 », à l’occasion des 50 ans du Gisti et dont le colloque se tiendra en mars prochain. Cette actualité montre une certaine vitalité dans la fabrication de la mémoire des migrations et la diversité des acteurs impliqués (associations, musées, archives, programmes de recherche, etc.)
Photo : Vue du parcours permanent du Musée national de l’histoire de l’immigration, crédit : Anne Volery, Palais de la Porte Dorée
Histoire d’une exposition
Le 18 juin dernier, le Musée national de l’histoire de l’immigration a ouvert sa nouvelle exposition permanente dans le Palais de la porte dorée. Un « événement » dont les enjeux s’inscrivent dans un emboîtement de trois temps. Celui du récit historique pris en charge dans le parcours – de 1685 au temps présent. Celui de l’histoire du musée, imaginé dès les années 1980 et ouvert en 2007 sous le nom de Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Celui, enfin, de la fabrique muséale : il aura fallu sept ans pour mener à bien cette nouvelle exposition. L’entreprise de rénovation, lancée en 2017, fut d’abord pensée par un comité scientifique présidé par Patrick Boucheron et autour de lui, des chercheurs, des conservateurs, des artistes. Quatre commissaires scientifiques – Delphine Diaz, Marianne Amar, Emmanuel Blanchard, Camille Schmoll – ont pris le relais pour donner corps à la réflexion collective, en lien avec l’équipe du musée et Sébastien Gökalp, commissaire général.
« Dès sa naissance, ce musée s’est construit sur le dialogue souvent fécond, parfois heurté, entre les conservateurs, les chercheurs, les migrants et les associations qui portent leurs paroles. »
Marianne Amar, historienne
Dès sa naissance, ce musée s’est construit sur le dialogue souvent fécond, parfois heurté, entre les conservateurs, les chercheurs, les migrants et les associations qui portent leurs paroles. Dans la durée, leurs places respectives n’ont pas cessé de se reconfigurer dans de subtils équilibres, mais avec une volonté partagée : faire (re)connaître l’histoire des migrations contre l’ignorance, l’invisibilité et les entreprises xénophobes. Sans rompre avec cet héritage, la nouvelle exposition fait le choix de l’ouvrir « au grand large » : dans le temps, avec une remontée de cinq siècles ; dans l’espace en épousant les variations de frontières du pays et de son empire ; dans la définition des migrations, enfin. Le récit déborde désormais de la seule immigration d’étrangers, pour brosser le tableau complexe d’une France en mouvement en intégrant traite, circulations coloniales, migrations intérieures, exils de Français.
Pour tenir ferme cette narration polyphonique, la construction chronologique s’est imposée, avec onze dates piliers – les unes connues de tous, d’autres choisies pour surprendre – et une section dédiée au temps présent. Dans chacune des salles, pour faire comprendre cette histoire mais aussi l’éprouver de manière sensible, la muséographie use d’une large palette d’outils : des œuvres, des archives, des sons, des cartes, des images animées qui fabriquent du mouvement en écho aux circulations migratoires. Reste la question de l’invisibilité qui taraude de bout en bout cette histoire. Par la puissance des objets et des images, l’exposition parvient, à sa manière, à la rendre visible dans un récit par fragments qui rend justice à celles et ceux qui en sont les acteurs.
Marianne Amar
Des archives des luttes par le droit et pour les droits des personnes étrangères
Le projet GISTI50 « Archives et mémoires de 50 ans de combats par et pour le droit : le Gisti, l’immigration et la liberté de circulation » est soutenu par l’Institut Convergences Migrations et hébergé par l’INED (UR11, Histoire et populations). Il est le fruit d’une collaboration entre une association de défense des droits des étrangers et étrangères (le Gisti, Groupe d’information et de soutien des immigré.es[1]voir le site : https://www.gisti.org/spip.php?article41), un centre d’archives et d’exposition (La Contemporaine, ex-BDIC à Nanterre[2]voir le site : http://www.lacontemporaine.fr/) et un collectif pluridisciplinaire d’enseignants-chercheurs (CNRS, EHESS, INED, universités…) travaillant de longue date sur les articulations entre les usages du droit, les politiques migratoires et la condition immigrée.
Autour des 50 ans de la création du Gisti, il s’agit notamment de mettre en valeur les archives de l’association : à la fois ses archives dites « historiques » (dossiers des luttes et collectifs auxquels a participé l’association, archives de ses membres les plus anciens…), les milliers de dossiers ouverts dans le cadre de ses permanences juridiques et ses archives numériques qui, depuis la fin des années 1990, reflètent au plus près l’organisation et les engagements de l’association. Le versement effectué à La Contemporaine comporte également des archives audiovisuelles, en particulier une soixantaine de récits de vie de membres de l’association recueillis entre 2019 et 2021 dans le cadre d’un partenariat avec l’EHESS. L’inventaire en cours et la mise à disposition de ces fonds (dont certains déjà accessibles, sur autorisation, au Gisti ou à la Contemporaine) devraient permettre de faire émerger de nouvelles sources et témoignages. Ce projet vise ainsi à susciter des travaux inédits appuyés sur les fonds d’autres associations de défense des droits des étrangers conservés à la Contemporaine (Cimade, LDH…). Le colloque GISTI50 qui se tiendra à l’Université Paris Ouest Nanterre les 15 et 16 mars 2024 marquera une première étape de cette collaboration entre chercheur·es, archivistes, militant·es et personnes directement concernées : il permettra de restituer les premiers résultats de recherches en cours et de proposer de nouvelles pistes pour des travaux à venir portant sur 50 années d’évolutions du droit au séjour et des modalités de contrôle des frontières.
« Aux confins des enjeux de connaissance et de citoyenneté, assumant tout à la fois la patrimonialisation du passé et l’engagement dans les mobilisations présentes, le projet GISTI50 promeut un accès élargi aux sources. »
Emmanuel Blanchard, politiste et historien
En cela, le projet GISTI50 est emblématique des synergies favorisées par l’IC Migrations : aux confins des enjeux de connaissance et de citoyenneté, assumant tout à la fois la patrimonialisation du passé et l’engagement dans les mobilisations présentes, situé au carrefour des disciplines et des méthodes, il promeut un accès élargi aux sources, une diffusion large des résultats des recherches en cours, ainsi que la nécessaire objectivation socio-historique des controverses et politiques actuelles.
Emmanuel Blanchard
Notes[+]
↑1 | voir le site : https://www.gisti.org/spip.php?article41 |
---|---|
↑2 | voir le site : http://www.lacontemporaine.fr/ |
Pour aller plus loin
-
- Gökalp S. (dir.), 2023. Une histoire de l’immigration en 100 objets, Catalogue de l’exposition permanente du Musée national de l’histoire de l’immigration, Paris, La Martinière.
- Coll., 2023. « Musées partagés », Hommes & Migrations, n° 1340. URL : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.14750
- Amar M., González Bernaldo de Quirós P., Lavabre M.-C. (dir.), 2020. Migraciones y museos. Una aproximación global, Rosario, Prohistoria Ediciones.
- Bertheleu H., Galloro P., Petitjean M. (dir.), 2018. « Exposer les migrations », Hommes & Migrations, n°1322.
- Israël L., 2003. « Faire émerger le droit des étrangers en le contestant », Revue des sciences sociales du politique, no 62, p. 115–143. URL : https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2003_num_16_62_1279
- Marek A., 2002. « La création du Gisti », Plein Droit, no 53–54. URL : http://www.gisti.org/doc/plein-droit/53–54/creation.html
Les auteurs
Marianne Amar est historienne, responsable du département de la recherche au Musée national de l’histoire de l’immigration et fellow de l’IC Migrations. Ses recherches portent sur les réfugiés des années 1930–1950, sur les récits des migrants et sur l’histoire visuelle des migrations. Elle a co-dirigé Migrations. Perspectives scientifiques, médiations muséales (Presses de l’Université Laval) et Mémoires des migrations et temps de l’histoire (PUFR).
Emmanuel Blanchard, historien et politiste, est maître de conférences HDR (U. Paris Saclay – UVSQ, CESDIP), chercheur associé à l’INED, fellow de l’IC Migrations. Chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), il est notamment l’auteur de La Police parisienne et les Algériens, 1944–1962 (Nouveau Monde, 2011).
Citer cet article
Marianne Amar, « Histoire d’une exposition » /Emmanuel Blanchard, « Des archives des luttes par le droit et pour les droits des personnes étrangères », in : Adèle Sutre et Nina Wöhrel (dir.), Dossier « Rendre visible les mémoires des migrations », De facto [En ligne], 35 | Octobre 2023, mis en ligne le 18 octobre 2023. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2023/10/16/defacto-035–05/
Republication
De facto est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution-No derivative 4.0 International (CC BY-ND 4.0). Vous êtes libres de republier gratuitement cet article en ligne ou sur papier, en respectant ces recommandations. N’éditez pas l’article, mentionnez l’auteur et précisez que cet article a été publié par De facto | Institut Convergences Migrations. Demandez le embed code de l’article à defacto@icmigrations.fr