Nom, prénom, date et lieu de naissance : trop peu de mots, sur ces certificats administratifs, pour écrire l’histoire de chaque personne épinglée à son état civil, enfoncée dans le sillon de ses empreintes digitales. À mieux les regarder cependant, ces documents d’identité portent les marques de bifurcations multiples, de ruptures radicales survenues dans les trajectoires d’Arméniens originaires de l’Empire ottoman et réfugiés en France au lendemain de la Première Guerre mondiale. La paix, en effet, n’a pas permis aux survivants du génocide (1915–1916) de retourner vivre en Turquie, à la suite des politiques d’exclusion mises en œuvre par le régime kémaliste.
L’étonnant, ici, n’est pas que l’exil soit affaire de routes, de maisons détruites ou spoliées, de naissances en chemin, de contrats de travail signés à distance, de débarquements à Marseille, de morts précoces et de nouveaux départs vers les Amériques. Mais que d’infimes traces de ces vies déplacées se soient déposées au détour de formalités ordinaires. Par petites touches, le passé étend ses ombres à travers les liasses.