CONF : Colloque international « À l’épreuve de la citoyenneté : juifs et musulmans en France » — Mercredi 18 mai 2022, 9h-18h, Paris, Musée national d’histoire de l’immigration

Présentation

En écho à l’ex­po­si­tion Juifs et musul­mans, de la France colo­niale à nos jours, ce colloque inter­na­tional et pluri­dis­ci­pli­naire dres­sera un pano­rama des nouvelles manières d’aborder l’his­toire des rela­tions entre juifs et musulmans.

Ce colloque mettra notam­ment l’ac­cent sur le rôle de l’État en contexte colo­nial et post-colo­nial dans la trans­for­ma­tion de ces rela­tions à travers quatre grandes théma­tiques trans­ver­sales : la ques­tion des statuts juri­diques des popu­la­tions colo­ni­sées d’Afrique du Nord, musul­manes et juives ; la compa­raison des trajec­toires migra­toires et les poli­tiques de l’ac­cueil ; la dimen­sion inter­con­fes­sion­nelle des violences et leur portée histo­rique ; le poids des mémoires dans les percep­tions actuelles des rela­tions entre juifs et musul­mans, et la ques­tion des mises en récit muséal.

Programme

9h – 9h40 : Ouverture et introduction

9h Ouver­ture des portes
9h10 Mot d’accueil
9h20-9h40 Intro­duc­tion par Benjamin Stora, commis­saire général de l’exposition, histo­rien, profes­seur hono­raire des univer­sités, ancien président du conseil d’orien­ta­tion du Palais de la Porte Dorée.

9h40 – 11h30 : Statuts et citoyenneté en contexte colonial

Modé­ra­tion : Colette Zytnicki, histo­rienne, profes­seur émérite, Univer­sité Toulouse Jean Jaurès, FRAMESPA

M’Hamed Oualdi, profes­seur, Centre d’histoire-Sciences Po Paris
Comment Algé­riens et Tuni­siens ont façonné leur natio­na­lité avant et pendant la période coloniale 
Les sujets des anciennes provinces otto­manes d’Alger et de Tunis, qu’ils fussent Musul­mans ou Juifs, ne furent pas que les objets d’ex­pé­ri­men­ta­tion et de violentes domi­na­tions juri­diques et poli­tiques autour de leurs natio­na­lités durant la période colo­niale. Avant et pendant les colo­ni­sa­tions fran­çaises entre les années 1830 et les années 1930, ils ont, par leurs actions mais aussi par leurs écrits notam­ment en arabe et en turc ottoman, contribué à façonner ce qu’ils et elles enten­daient par natio­na­lité et comment ces hommes et femmes conce­vaient leur propre natio­na­lité. Cette commu­ni­ca­tion reviendra sur de récents travaux nova­teurs sur la question.

Jessica Marglin, profes­seure asso­ciée de reli­gion, droit et histoire ; Ruth Ziegler Early Career Chair in Jewish Studies, Univer­sity of Southern California
Les juifs d’Afrique du Nord et l’appartenance juri­dique à la France au XIXe siècle
En visio-confé­rence
Cette inter­ven­tion porte sur l’histoire complexe des appar­te­nances multiples qu’avaient les juifs magh­ré­bins dans l’Empire fran­çais au dix-neuvième siècle. Le terme « appar­te­nance juri­dique » nous permet de comprendre les diffé­rents types de liens entre l’individuel et l’État : la citoyen­neté, bien sûr, mais aussi la natio­na­lité (que les juifs en Algérie avaient avant 1870), la protec­tion consu­laire (que beau­coup de juifs au Maroc et en Tunisie récla­maient des diplo­mates fran­çais), et la sujé­tion (que les Tuni­siens pouvaient réclamer des consuls fran­çais hors de la Tunisie, même s’ils ne possé­daient pas la natio­na­lité fran­çaise). Au lieu de faire l’histoire de la citoyen­neté du Maghreb fran­çais – avec le décret Crémieux au centre de l’historiographie – je propose de raconter une histoire beau­coup plus complexe des diffé­rentes possi­bi­lités d’appartenance qu’avaient les juifs dans le Maghreb colo­nial et précolonial.

Laure Blévis, maîtresse de confé­rences en socio­logie, Univer­sité Paris Nanterre, Institut des Sciences sociales du Poli­tique, IC Migrations
et Claire Zalc, direc­trice de recherche CNRS – IHMC, Direc­trice d’étude EHESS, IC Migrations
Juifs et Musul­mans de l’Afrique du Nord sous colo­ni­sa­tion fran­çaise (Algérie, Maroc, Tunisie) au regard de la poli­tique de révi­sion des natu­ra­li­sa­tions de Vichy
Cette commu­ni­ca­tion s’ins­crit dans un travail en cours sur les déna­tu­ra­li­sa­tions opérées par le régime de Vichy dans l’Em­pire colo­nial fran­çais. Il s’agit d’ana­lyser la façon dont s’est appli­quée, pour ces deux groupes, la poli­tique de révi­sion et de retrait des natu­ra­li­sa­tions. Réflé­chir aux pratiques de déna­tu­ra­li­sa­tion par Vichy permet de saisir les manières dont les auto­rités fran­çaises ont traité, et distingué, Juifs et Musul­mans dans la colo­ni­sa­tion, en établis­sant des statuts colo­niaux distincts ou au contraire unique, et en leur permet­tant, ou pas, d’ac­céder au statut de citoyen français.

Débat avec la salle

11h30 – 12h50 Migrations en métropole et politiques publiquues

Modé­ra­trice : Karima Dirèche, Direc­trice de recherche CNRS, UMR TELEMMe/​Maison médi­ter­ra­néenne des sciences de l’homme

Yann Scioldo-Zürcher-Levi, chargé de recherche CNRS, Centre de recherches histo­riques-EHESS, IC Migrations
Docu­menter une situa­tion migra­toire confuse : une enquête sur les juifs de France métro­po­li­taine en 1962 et 1963
Alors que le rapa­trie­ment des Fran­çais d’Al­gérie est en cours, le Consis­toire israé­lite central de France tente de créer des savoirs sur les boule­ver­se­ments des commu­nautés juives provin­ciales dont il a la charge. Entre les mois de septembre 1962 et 1963, il orga­nise une enquête natio­nale visant à étudier les chan­ge­ments quan­ti­ta­tifs inter­venus et, pour garder une popu­la­tion à son culte, dresse un état des de besoins exprimés par les syna­gogues des villes de préfec­ture. Cette commu­ni­ca­tion observe les tenta­tives de créer des savoirs par une insti­tu­tion reli­gieuse, et étudie ce que l’ar­rivée des Juifs d’Afrique du Nord a fait aux insti­tu­tions juives de province, alors « ensom­meillées » et peu aptes à accueillir une migra­tion de masse.

Baptiste Mollard, docto­rant, Univer­sité Versailles Saint Quentin, CESDIP
L’État algé­rien face à l’émi­gra­tion : la sélec­tion, le contrôle des travailleurs émigrés et la défense diplo­ma­tique de ses ressor­tis­sants (1962–1973)
Dès novembre 1962, le nouvel État algé­rien s’im­plique dans le contrôle et l’en­ca­dre­ment de l’émi­gra­tion de ses ressor­tis­sants. Jusqu’en septembre 1973, les mouve­ments de main-d’œuvre négo­ciés avec l’an­cienne puis­sance colo­niale sont l’oc­ca­sion de multiples rencontres et de la signa­ture d’ac­cords de main d’œuvre dont l’ap­pli­ca­tion nourrit un conten­tieux diplo­ma­tique consé­quent. Aborder cette émigra­tion du point de vue des hommes d’État algé­riens permet la mise en lumière des épisodes de discri­mi­na­tion ou de réten­tion admi­nis­tra­tive arbi­traires, des rapports conflic­tuels avec la police ou des coups de force unila­té­raux de la diplo­matie fran­çaise qui jalonnent cette histoire. En Algérie, elle révèle les impor­tants inves­tis­se­ments admi­nis­tra­tifs dont cette émigra­tion fait l’objet.

Débat avec la salle

12h50 – 14h : Pause déjeuner

14h – 15h45 Violences et mise en récit historique

Modé­ra­trice : Laura Hobson Faure, Profes­seur en histoire contem­po­raine des mondes juifs, Univer­sité Paris1-Panthéon Sorbonne

Joshua Cole, professor, Depart­ment of History, Univer­sity of Michigan
Les meurtres de Constan­tine en 1934 : provo­ca­tion et anti­sé­mi­tisme dans l’Al­gérie fran­çaise de l’entre-deux-guerres
En visio-confé­rence
Cette confé­rence sera fondée sur mon livre Lethal Provo­ca­tion : The Constan­tine Murders and the Poli­tics of French Algeria. Le livre examine les archives histo­riques de l’épi­sode de violence anti-juive le plus meur­trier en temps de paix de l’his­toire fran­çaise moderne. Il recons­titue les émeutes de 1934 à Constan­tine, en Algérie fran­çaise, au cours desquelles les tensions entre musul­mans et juifs ont été aggra­vées par des mili­tants de l’extrême droite, entraî­nant la mort de vingt-huit personnes. Au centre de l’histoire est l’agitateur, Mohamed El Maadi, un soldat de l’armée fran­çaise. Plus tard, membre d’un groupe natio­na­liste fran­çais notoire qui a menacé d’in­sur­rec­tion à la fin des années 1930, El Maadi est devenu un partisan enthou­siaste du régime de Vichy pendant la deuxième guerre mondiale et a terminé sa carrière chez les SS alle­mands. Le livre décrypte l’« affaire classée » de la parti­ci­pa­tion d’El Maadi aux événe­ments, révé­lant à la fois sa présence sur les lieux et ses moti­va­tions pour provo­quer la violence, au moment où le gouver­ne­ment fran­çais débat des droits des musul­mans en Algérie. La police et les auto­rités connais­saient le rôle de la provo­ca­tion dans les troubles et les meurtres, mais elles ont déli­bé­ré­ment caché la vérité au cours de l’en­quête qui a suivi.

Aliénor Cadiot, post­doc­to­rante, Univer­sité de Caen
« Un réalisme de circons­tance » : le Service des Affaires algé­riennes sous Vichy
En mars 1941 est créé au sein de la Préfec­ture des Bouches-du-Rhône le « Service des affaires algé­riennes ». Dans le contexte d’une propa­gande nazie accrue à l’égard des popu­la­tions musul­manes de l’Empire fran­çais, ce service a pour but de surveiller les allées et venues entre la France et l’Afrique du Nord. Jusqu’à la fin de l’année 1942, toutes les infor­ma­tions possibles sur les « Nord-Afri­cains » sont récol­tées et consignées.
Le SAA est, dès le début, dirigé par le comman­dant Wender ; la fin de cette produc­tion docu­men­taire corres­pond à sa dispa­ri­tion. À travers cette source singu­lière, nous cher­che­rons à montrer à la fois une manière d’administrer, celle d’un spécia­liste de la surveillance soup­çonné d’ « indi­gé­no­philie » par sa hiérar­chie en contexte auto­ri­taire, et l’invention d’une figure du « Nord-Afri­cain » corres­pon­dant à l’idéal de Vichy.

Ethan Katz, profes­seur d’histoire et d’études juives, Univer­sity of Cali­fornia, Berkeley
Les violences au Moyen-Orient comme source des affron­te­ments entre juifs et musul­mans en France : un discours qui fait obstacle à la compré­hen­sion de l’histoire ?
Cette présen­ta­tion examine la manière par laquelle, depuis les années trente jusqu’au début de ce XXIe siècle, la presse et la police fran­çaise laissent entendre que les violences entre juifs et musul­mans en Israël-Pales­tine sont la prin­ci­pale source des affron­te­ments entre juifs et musul­mans dans l’hexagone. Cette idée, que cette présen­ta­tion entend discuter, est devenue un obstacle majeur à une compré­hen­sion fine des tensions entre juifs et musul­mans en France. Elle se nourrit du manque de mémoire et de connais­sance de rela­tions histo­riques complexes et ancrées dans la longue durée.

Débat avec la salle

15h45 – 16h Pause

16h – 17h45 Musées et mémoires en conflit

Modé­ra­trice : Sarah Gens­burger, direc­trice de recherche CNRS, direc­trice adjointe de l’Institut des sciences sociales du politique

Michèle Baus­sant, direc­trice de recherche CNRS, CEFRES et ISP, IC Migrations
Une petite musique entê­tante : les récits sur les exis­tences et les dispa­ri­tions des commu­nautés juives des pays d’islam
Cette commu­ni­ca­tion s’intéresse à la multi­pli­ca­tion et aux évolu­tions, au cours du temps, et selon diffé­rents espaces et axes – Amérique du Nord-Israël ; pays d’islam-Israël, pays d’islam, Europe … – des narra­tions rela­tives aux rela­tions entre commu­nautés reli­gieuses, en parti­cu­lier juives et musul­manes, et à la dispa­ri­tion des Juifs des pays d’islam. Elle mobi­lise pour ce faire : 1. des échelles distinctes – allant des récits indi­vi­duels à ceux produits au sein de groupes inter­mé­diaires tels que des asso­cia­tions ou des commu­nautés reli­gieuses et, à une échelle plus large et publique, ceux d’institutions natio­nales et trans­na­tio­nales et de leurs acteurs (incluant le monde acadé­mique), et 2. des modes et des supports variés de média­tions de ces narra­tions, notam­ment celles produites hors des milieux acadé­miques, qui ne consti­tuent pas un corpus clos et peuvent relever de logiques diffé­rentes – d’inclusion, d’exclusion ou encore de séclu­sion. Il s’agira en parti­cu­lier de ques­tionner la manière dont ces narra­tions se construisent souvent sur un mode binaire, à travers la lentille des rela­tions entre Juifs et musul­mans, obli­té­rant toujours, dans l’histoire, un troi­sième terme, celui des autres commu­nautés en présence, qui ne sont ni juives, ni musulmanes.

Mathias Drey­fuss, cher­cheur associé au CRH-EHESS ; commis­saire exécutif de l’exposition
Exposer les archives, révéler l’État comme acteur des rela­tions entre juifs et musul­mans en France
Expo­si­tion d’histoire, Juifs et musul­mans, de la France colo­niale à nos jours présente un certain nombre de docu­ments d’archives. Cette commu­ni­ca­tion entend resti­tuer les réflexions, chemi­ne­ments, choix qui ont permis de faire de ces archives expo­sées, non pas de simples éléments de contex­tua­li­sa­tion des évène­ments racontés, mais d’acteurs à part entière de l’histoire « rela­tion­nelle » ici mise en scène.

Muriel Cohen, maîtresse de confé­rences en histoire, Le Mans Univer­sité, labo­ra­toire TEMOS, IC Migrations
Faire place à la reli­gion dans une expo­si­tion sur le quoti­dien des classes popu­laires : retour sur un échec relatif 
L’exposition « La vie HLM. Histoires d’habitant.e.s de loge­ments popu­laires, Auber­vil­liers 1950–2000 » recons­titue la vie quoti­dienne des habi­tants d’une cité à partir d’une enquête histo­rique. Si la pratique reli­gieuse avait été iden­ti­fiée a priori comme une théma­tique impor­tante, celle-ci n’est traitée que de manière très margi­nale dans l’exposition. Nous revien­drons ici sur les diffé­rents facteurs qui expliquent cet échec, entre enjeux histo­riques, poli­tiques et scénaristiques.

Débat avec la salle

18h – 18h45 Vente d’ouvrages et signature d’Ethan Katz
À 19h, rencontre avec Ethan Katz

Site de référence

https://​www​.histoire​-immi​gra​tion​.fr/​p​r​o​g​r​a​m​m​a​t​i​o​n​/​c​o​l​l​o​q​u​e​s​-​e​t​-​s​e​m​i​n​a​i​r​e​s​/​c​o​l​l​o​q​u​e​-​i​n​t​e​r​n​a​t​i​o​n​a​l​-​a​-​l​-​e​p​r​e​u​v​e​-​d​e​-​l​a​-​c​i​t​o​y​e​n​n​e​t​e​-​j​u​i​f​s​-​e​t​-​m​u​s​u​l​m​a​n​s​-​e​n​-​france