Roberta Perna, sociologue
Les services de santé italiens sont relativement accessibles aux migrants sans-papiers. Mais certains discours prônent leur exclusion en invoquant le coût d’une telle accessibilité. Bien que rares, les études sur le sujet dépeignent une autre réalité.
Introduction
Au sein de l’Union européenne, l’Italie est un des pays qui comptent le plus grand nombre estimé de migrants sans-papiers (MSP). Dotée d’un système de santé universaliste (le Servizio Sanitario Nazionale – ou SSN), l’Italie garantit aux MSP un accès à des soins de santé complets. Malgré les chiffres, certaines voix nationalistes s’élèvent dans le pays, accusant les MSP de peser sur le budget du SSN.
Mesures en vigeur
Dans son préambule, la loi de 1998 sur l’immigration renforce l’obligation de garantir aux étrangers les droits les plus fondamentaux, ce quel que soit leur statut juridique.[1]L’accès aux soins est le seul droit explicitement défini comme fondamental dans la Constitution italienne. Plus loin, la section santé prévoit que les MSP aient accès aux « soins urgents et essentiels » de manière continue, ce qui comprend les soins de grossesse et de maternité, les soins pédiatriques et les mesures de santé publique.[2]Les soins urgents désignent l’ensemble des services qui ne peuvent être reportés sans mettre en danger la vie ou la santé d’une personne. Les soins essentiels comprennent les services diagnostiques et thérapeutiques liés à des pathologies non dangereuses à court terme, mais qui pourraient causer des dommages plus … Lire la suite En pratique, l’accès aux soins est permis via l’attribution d’un code anonyme, valable six mois et pouvant être renouvelé. Plus notablement, les professionnels de santé ne sont pas autorisés à dénoncer les MSP.
Concernant la mise en œuvre de l’offre de soins, chaque région identifie les moyens adéquats de garantir, sur son territoire, un accès adapté aux MSP, reflétant ainsi la nature décentralisée du SSN. Par conséquent, une grande hétérogénéité existe sur l’ensemble du territoire.[3]Par exemple, certaines régions fournissent des soins primaires aux MSP par l’intermédiaire de cliniques publiques dédiées, d’autres par l’intermédiaire de médecins généralistes conventionnels, et d’autres encore par l’intermédiaire d’organismes non-gouvernementaux accrédités. D’autres différences peuvent … Lire la suite
« Comme le montrent les études, restreindre l’accès aux soins de santé des MSP se révèle inefficace et irrationnel, même lorsque l’on se place d’un point de vue purement économique ou de santé publique. Malheureusement, la politique aveugle souvent les individus. »
Roberta Perna, sociologue
Enfin, en termes de financement, les régions se voient rembourser les traitements administrés aux MSP par le gouvernement central, tandis que l’organisation des soins de santé (qui comprend par exemple les services de médiation, le personnel médical ou le matériel nécessaire pour les soins primaires) dépend du budget de chaque région. Les migrants doivent participer aux coûts des traitements reçus, mais, comme dans le cas des citoyens italiens, ils peuvent être exemptés de leur reste à charge pour des raisons de santé (maladie chronique ou pathologie grave par exemple) ou pour des raisons économiques (indigence).
Une charge sociale dont il faut se défaire ? Ce que disent les (rares) chiffres
Pour les partis italiens de droite anti-immigration, tels que la Ligue et Fratelli d’Italia, l’accessibilité des soins aux MSP est souvent représentée comme une « charge sociale ». Ils opposent fréquemment, particulièrement en période de crise économique, le coût (prétendument) élevé des soins fournis à des « clandestini » qui ne le méritent pas et autres « touristes de santé fraudeurs », aux pénuries subies par les « précaires italiens », appelant à exclure les premiers de la gratuité des soins.
Ces discours – qui apportent de nouvelles nuances raciales aux appels à la « rationalisation dans les soins de santé » et à l’arrêt des « abus du système » entendus en Italie depuis le milieu des années 2000 – sont contredits par les données existantes, bien que peu nombreuses. Pour la période 1998–2017, environ 0,2 % du Fonds National de Santé annuel a été alloué aux régions par le ministère de la Santé à cette fin.[4]Exceptés les soins d’urgence, qui étaient remboursés par le ministère de l’Intérieur (données non disponibles). Depuis 2018, le budget qui y était alloué a fusionné avec d’autres postes de dépenses, rendant impossible l’estimation du montant annuel remboursé. Concernant le coût des traitements, en 2010, les MSP représentaient 0,4 % de l’ensemble des hospitalisations du pays et 0.34 % des dépenses publiques d’hospitalisation.[5]Agenas, 2013. La valutazione economica dell’assistenza sanitaria erogata agli immigrati : metodologia e primi risultati. Disponible en ligne [en italien seulement] : … Lire la suite
Pourtant, des arguments en faveur de leur exclusion persistent, y compris en pleine pandémie de COVID-19. En plus d’avoir dépeint les migrants débarquant en Italie comme des vecteurs du virus, la Ligue et Fratelli d’Italia ont sévèrement critiqué la régularisation des MSP approuvée en mai 2020 pour des raisons de santé publique (ainsi qu’économiques). Et d’appeler le gouvernement à consacrer de préférence ses ressources limitées à la protection des Italiens.
Comme le montrent les études (voir notre entretien avec Nicolas Vignier), restreindre l’accès aux soins de santé des MSP se révèle inefficace et irrationnel, même lorsque l’on se place d’un point de vue purement économique ou de santé publique. Malheureusement, la politique aveugle souvent les individus.
Notes[+]
↑1 | L’accès aux soins est le seul droit explicitement défini comme fondamental dans la Constitution italienne. |
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↑2 | Les soins urgents désignent l’ensemble des services qui ne peuvent être reportés sans mettre en danger la vie ou la santé d’une personne. Les soins essentiels comprennent les services diagnostiques et thérapeutiques liés à des pathologies non dangereuses à court terme, mais qui pourraient causer des dommages plus importants à la santé de la personne au fil du temps (telles que des complications ou des maladies chroniques). La continuité des soins implique d’accompagner les patients jusqu’à leur guérison totale, rééducation comprise. |
↑3 | Par exemple, certaines régions fournissent des soins primaires aux MSP par l’intermédiaire de cliniques publiques dédiées, d’autres par l’intermédiaire de médecins généralistes conventionnels, et d’autres encore par l’intermédiaire d’organismes non-gouvernementaux accrédités. D’autres différences peuvent également être observées dans les dispositions supplémentaires que les régions peuvent décider de mettre en place ; par exemple, 12 régions sur 20 ont étendu la gratuité sous condition aux médicaments et 13 régions ont étendu la limite d’âge pour être reconnu mineur sans-papiers de 14 à 18 ans (la loi prévoit l’inscription inconditionnelle de tout mineur dans le SSN). |
↑4 | Exceptés les soins d’urgence, qui étaient remboursés par le ministère de l’Intérieur (données non disponibles). Depuis 2018, le budget qui y était alloué a fusionné avec d’autres postes de dépenses, rendant impossible l’estimation du montant annuel remboursé. |
↑5 | Agenas, 2013. La valutazione economica dell’assistenza sanitaria erogata agli immigrati : metodologia e primi risultati. Disponible en ligne [en italien seulement] : https://www.agenas.gov.it/images/agenas/ricerca/agenas_ccm_corrente_finalizzata/LEA/La%20Salute%20pop%20immigrata/1_La_valutazione_economica_dellassistenza_sanitaria_erogata_agli_immigrati.pdf. |
Pour aller plus loin
- Busetta A., Cetorelli V. & Wilson B., 2018. « A Universal Health Care System ? Unmet Need for Medical Care Among Regular and Irregular Immigrants in Italy », Journal of Immigrant and Minority Health, vol. 20, p. 416–421. DOI : 1007/s10903-017‑0566‑8.
- Falkenbach M., 2021. « The Evolution of the Populist Radical Right and Their Impact on Health in Italy », in : Falkenbach M., Greer S.L. (dir.), The Populist Radical Right and Health. Springer, Cham, p. 79–94. DOI : 1007/978–3‑030–70709-5_5.
- International Organization for Migration, 2016. Summary Report on the MIPEX Health Strand and Country Reports. MRS n° 52. OIM, Genève. URL : https://publications.iom.int/books/mrs-no-52-summary-report-mipex-health-strand-and-country-reports
- Perna R., 2021. « Street-Level Workers, Managers and Institutional Tensions : A Comparative Ethnography of Healthcare Practices of In/Exclusion in Three Italian Public Organisations », CMS, vol. 9, n° 16. 1186/s40878-021–00224‑6.
L’autrice
Roberta Perna est titulaire d’un doctorat en sociologie politique de l’Université de Turin (Italie). Elle est actuellement chercheuse post-doctorale Marie Skłodowska-Curie au Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations (Cedem) de l’Université de Liège.
Citer cet article
Roberta Perna, « L’accès aux soins des migrants sans-papiers en Italie : l’inclusivité des mesures face aux appels à l’exclusion », in : Betty Rouland (dir.), Dossier « L’aide médicale d’État, la fabrique d’un faux problème », De facto [En ligne], 31 | Février 2022, mis en ligne le 28 février 2022. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2022/02/09/defacto-031–06/
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