Le Gisti : 50 ans de combats juridiques, 50 ans d’archives

Danièle Lochak, membre et ancienne présidente du Gisti

En 1972, année où les circulaires Marcellin-Fontanet préfigurent la fermeture officielle des frontières à l’immigration de main‑d’œuvre, naît le Groupe d’Information et de Soutien des « Travailleurs Immigrés » (devenus simplement « Immigrés » en 1996). Souvent appelé par son acronyme, le Gisti a été mêlé à la plupart des combats des cinquante dernières années pour la reconnaissance et le respect des droits des étrangers en France. Ses nombreuses archives sont le témoin de son engagement.

À gauche : Affiche d’avril 1977 signée par une quin­zaine d’associations contre la poli­tique de Stoléru, alors secré­taire d’État au travail manuel. L’affiche cible notam­ment l’aide au retour (symbo­lisée par le bâillon avec l’inscription 10 000 F), qui entend inciter les étran­gers à retourner chez eux. À droite : Affiche d’avril 1978 signée par une tren­taine d’organisations.

Lutter pour les droits des rési­dents des foyers, la régu­la­ri­sa­tion des sans-papiers, la carte de dix ans, l’égal accès à la protec­tion sociale et aux emplois, le droit de vote, le droit de vivre en famille, la sauve­garde du droit d’asile… ; dénoncer l’enfermement et les expul­sions, les contrôles au faciès, la gestion utili­ta­riste des migra­tions oppo­sant immi­gra­tion subie et immi­gra­tion choisie, la promo­tion de l’identité natio­nale et les attaques récur­rentes contre le droit du sol ; combattre la poli­tique euro­péenne de ferme­ture des fron­tières et ses consé­quences meur­trières ; et fina­le­ment défendre la liberté de circu­la­tion, dont le Gisti a inscrit le prin­cipe dans ses statuts en 2003 : tels sont les terrains sur lesquels le Gisti s’est engagé, avec ses moda­lités d’action propres, incluant pour une part impor­tante le conseil juri­dique et l’activité contentieuse. 

Les archives du Gisti sont le témoin de ces enga­ge­ments. Elles consti­tuent une source d’information sur la vie interne, les modes d’action et les combats d’une asso­cia­tion de défense des immigré·e·s mais aussi sur l’histoire de l’immigration, des poli­tiques migra­toires et des mobi­li­sa­tions liées à l’immigration depuis 1972.

Ces archives seront trans­fé­rées à La Contem­po­raine, après son instal­la­tion dans ses nouveaux locaux programmée à la rentrée univer­si­taire en 2021. Ce verse­ment devrait être l’occasion de l’organisation d’un colloque au prin­temps 2022, qui coïn­ci­dera avec le cinquan­tième anni­ver­saire de l’association.

Fragments du singulier, archive du collectif 

Les archives papier, dites « histo­riques » parce qu’elles relatent l’histoire de l’association et des luttes sur l’immigration, couvrent pour l’essentiel la période qui va des débuts de l’association jusqu’à la fin des années 1990, les archives deve­nant alors massi­ve­ment nati­ve­ment numé­riques. On y trouve les premiers cahiers – manus­crits – de la perma­nence juri­dique, les comptes-rendus de réunions depuis l’origine, les docu­ments d’assemblées géné­rales, les dossiers rela­tifs aux recours portés par le Gisti ou aux grands combats qu’il a menés, le plus souvent avec d’autres parte­naires asso­cia­tifs ou syndi­caux. Certains de ses membres y ont déposé des photo­gra­phies, affiches, etc., dont une grande partie a été numé­risée et mise en ligne par l’as­so­cia­tion Géné­riques.

Affiche réalisée à l’occasion du concert du 7 avril 1999 à l’Élysée-Montmartre qui réunis­sait des musi­ciens célèbres venus apporter leur soutien au Gisti sur le thème de la liberté de circu­la­tion. Autrice : Susana Shannon.

Le fonds est actuel­le­ment classé en boîtes d’archives conser­vées dans les locaux du Gisti et occupent environ 40 mètres linéaires. Pour tous les docu­ments produits et reçus par le Gisti, un tableau de gestion fixe le délai d’utilité des dossiers et leur sort final. Sont conservés défi­ni­ti­ve­ment tous les docu­ments concer­nant la vie de l’association.

Les archives numé­riques, consti­tuées à partir de la seconde moitié des années 1990, prolongent les précé­dentes. Elles sont conser­vées sur un serveur partagé, selon une arbo­res­cence réflé­chie dès le départ permet­tant le pré-clas­se­ment des dossiers appelés à devenir des archives.

Les archives de la perma­nence juri­dique, conser­vées depuis 1993, sont consti­tuées par les dossiers indi­vi­duels des personnes ayant consulté cette perma­nence, qui, depuis plusieurs années, se tient quasi-exclu­si­ve­ment par télé­phone et par cour­rier. Ces 27 000 dossiers condi­tionnés dans des boîtes d’archives occupent environ 90 mètres linéaires et sont stockés dans les locaux du Gisti pour la période 2005 à nos jours et dans un local d’archivage distinct pour la période 1993–2004. Le fonds est classé et inven­torié dans un fichier élec­tro­nique nommé « Gisti­stat » qui permet de sélec­tionner les dossiers en fonc­tion de diffé­rents critères : natio­na­lité, situa­tion admi­nis­tra­tive, etc.

Les associations, une interface entre étrangers et administration

Signa­lons enfin que, dans la pers­pec­tive du colloque qui marquera le verse­ment des archives du Gisti à La Contem­po­raine, il est prévu de réaliser une campagne d’entretiens avec des membres ou d’anciens membre du Gisti. Cela permettra de consti­tuer un fonds complé­men­taire d’archives audiovisuelles.

Couver­ture de la première édition du Petit livre juri­dique des travailleurs immi­grés, Maspero, 1974.

Ces fonds d’archives ont déjà été exploités par des cher­cheurs, telle Liora Israël pour ses travaux sur les origines du Gisti et plus large­ment sur les juristes engagés. Les dossiers de la perma­nence, quant à eux, ont par exemple été utilisés pour des recherches sur des ques­tions de natio­na­lité (natu­ra­li­sa­tion, retrait, déchéance…), tel le travail d’Émilien Fargue sur les « exclu·e·s de la natu­ra­li­sa­tion » en France et en Grande-Bretagne. Une exploi­ta­tion systé­ma­tique de ce fonds permet­trait de savoir quelles sont les personnes qui s’adressent aux perma­nences asso­cia­tives au fil des années, ce qu’elles en attendent, les réponses qui leur sont appor­tées, et fina­le­ment la façon dont les asso­cia­tions – en l’occurrence, ici, le Gisti – conçoivent leur rôle d’interface entre les étran­gers et l’administration.

Condi­tions actuelles d’accès aux archives du Gisti

Les archives dites « histo­riques » sont pour l’instant consul­tables au Gisti sur rendez-vous, de même que les dossiers de la perma­nence posté­rieurs à 2005. Pour ceux de la période anté­rieure, il n’est maté­riel­le­ment pas possible de les mettre à dispo­si­tion dans leur ensemble, mais l’on peut répondre à des demandes ciblées sur des théma­tiques grâce à l’outil Gisti­stat acces­sible sur place.

Des auto­ri­sa­tions d”’accès au serveur abri­tant les archives numé­riques sont possibles, qu’il s’agisse d’archives papier numé­ri­sées ou d’archives numé­riques natives ; ces auto­ri­sa­tions sont ciblées en fonc­tion des théma­tiques de recherche. S’agissant des dossiers de la perma­nence, qui ne sont pas anony­misés, l’accès est auto­risé sur la base d’un proto­cole permet­tant de conci­lier les inté­rêts de la recherche et la protec­tion des données personnelles.

Pour aller plus loin
L’auteure

Danièle Lochak est profes­seure émérite de droit public à l’uni­ver­sité Paris-Nanterre et ancienne prési­dente du GISTI.

Citer cet article

Danièle Lochak, « Le Gisti : 50 ans de combats juri­diques, 50 ans d’archives », in : Antonin Durand (dir.), Dossier « Aux sources de la migra­tion », De facto, n°22, oct. 2020. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2020/10/08/defacto-022–03/

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