Voyageurs internationaux ou immigrants, le virus ne fait pas la différence

François Héran, démographe

La relation entre immigration et épidémie peut s’envisager sous l’angle des inégalités d’accès au logement, aux soins, au matériel de protection, à l’information. Mais cela ne doit pas faire oublier que la migration internationale est peu de chose sur l’ensemble de la mobilité internationale.

Selon l’Organisation mondiale du tourisme, on comp­tait dans le monde en 2018 environ 1,4 milliard de fran­chis­se­ments de fron­tière par des non-rési­dents pour un séjour de moins de 12 mois, contre seule­ment 0,9 milliard en 2008. Soit une progres­sion de 50 % en dix ans, malgré l’essor des commu­ni­ca­tions à distance. Voyages touris­tiques surtout, mais aussi visites fami­liales, dépla­ce­ments profes­sion­nels, travail saison­nier ou « détaché ». L’Europe en capte la moitié, la France 6,4 %.

En 2018, en effet, la France a enre­gistré 89 millions d’entrées de non-rési­dents pour des séjours infé­rieurs à 12 mois. C’est le record mondial, devant l’Espagne (83 millions) et les États-Unis (80 millions). Cela corres­pond à 140 millions de nuitées, autant que les nuitées de rési­dents nationaux.

Sur cette masse d’entrées, combien sont le fait d’immigrants venus s’installer en France pour au moins un an ? Environ 400 000 si l’on se limite à l’immigration issue des pays tiers :

  • 280 000 entrées légales (titres de séjour accordés en 2019) ;
  • une partie, diffi­cile à déter­miner, des 132 000 premiers deman­deurs d’asile (enfants mineurs compris). Une partie seule­ment, car si 36 % environ obtiennent une protec­tion, d’autres, déboutés il y a déjà plusieurs années, finissent par décro­cher un titre de séjour pour motifs fami­liaux et se retrouvent donc dans la statis­tique des titres de séjour d’une année ulté­rieure. D’autres, enfin, repartent ;
  • une partie (sous des hypo­thèses analogues) des 40 000 demandes « sous statut Dublin », présen­tées aux « guichets uniques » de l’Office fran­çais de l’im­mi­gra­tion et de l’in­té­gra­tion (Ofii) et des préfec­tures sans passer par l’Office fran­çais de protec­tion des réfu­giés et apatrides (Ofpra).

S’ajoutent à cela les quelque 140 000 entrées annuelles de ressor­tis­sants des pays de l’Espace écono­mique euro­péen, non tenus de demander un titre de séjour (Insee Focus, n° 145, février 2019).

Ces four­chettes sont larges mais seul importe ici l’ordre de gran­deur : la migra­tion non euro­péenne repré­sente moins de 0,5 % des 89 millions d’entrées annuelles en France, soit 1/​200 des entrées. Euro­péens inclus, les entrées de migrants repré­sentent environ 0,6 % de la mobi­lité inter­na­tio­nale vers la France, soit une entrée sur 170.

Une ferme­ture prophy­lac­tique des fron­tières ciblée sur les seuls migrants (euro­péens ou non), n’aurait donc aucun sens, vu leur part minime dans l’ensemble des entrées. Dans notre imagi­naire, fermer les fron­tières, c’est d’abord les fermer aux migrants. Mais le covid-19 se moque de cette distinc­tion ; il se propage d’un pays à l’autre via les voya­geurs de toute sorte, sans se demander s’ils sont migrants.

Pour aller plus loin

UNWTO, Inter­na­tional Tourism High­lights, 2019, Statis­tical Annex, p. 17. URL : https://www.e‑unwto.org/doi/pdf/10.18111/9789284421152

L’auteur

Fran­çois Héran est profes­seur au Collège de France, titu­laire de la chaire « Migra­tions et sociétés » et direc­teur de l’Institut Conver­gences Migrations.

Citer cet article

Fran­çois Héran, « Voya­geurs inter­na­tio­naux ou immi­grants, le virus ne fait pas la diffé­rence », in : Annabel Desgrées du Loû (dir.), Dossier « Les migrants dans l’épidémie : un temps d’épreuves cumu­lées », De facto [En ligne], 18 | Avril 2020, mis en ligne le 10 avril 2020. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2020/04/07/defacto-018–04/

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