Vœux 2020

Cette année, pour notre carte de vœux, nous avons choisi une œuvre porteuse d’apaisement sans pour autant évacuer la fragi­lité de la pause à laquelle elle invite le spec­ta­teur. C’est une œuvre qui convie à une réflexion critique sur la fron­tière, cette ligne de démar­ca­tion stricte et arbi­traire qui sépare alors qu’elle se dresse dans un espace de mélange et de circu­la­tion — la zone frontalière.

Il s’agit d’une photo­gra­phie issue de la perfor­mance de l’artiste turc Murat Gök, inti­tulée Border. Réalisée non sans danger à la fron­tière turco-syrienne, près de Mardin, elle consis­tait à démonter une section du grillage qui marque la fron­tière pour faire place à un hamac offert à la détente d’un jeune homme.

Cette perfor­mance offre une réponse légère à la sévé­rité de la fron­tière. Le contraste entre la clôture rigide et l’installation impromptue du hamac suggère le déca­lage entre les poli­tiques et les conflits décidés au plus haut niveau et la vie sur le terrain. Mais la figure du jeune homme, qui se balance d’un côté à l’autre de la fron­tière, remet en cause le concept de désunion. Par son carac­tère ludique, cette perfor­mance est une invi­ta­tion à se demander qui a le droit de jouer avec les fron­tières et qui souffre lorsqu’elles sont mal administrées.

Le balan­ce­ment du person­nage rappelle aussi la nature chan­geante des défi­ni­tions, parti­cu­liè­re­ment perti­nente pour la fron­tière sud de la Turquie. Même lorsqu’elle subsiste, la fron­tière et ses enjeux évoluent au même rythme que les contextes envi­ron­nants. En 2010, lorsque la photo­gra­phie a été prise, il exis­tait un certain danger. Depuis, la guerre civile syrienne, l’invasion de l’État isla­mique et l’entreprise d’annexion de la zone fron­ta­lière sud par le gouver­ne­ment turc ont trans­formé la nature de ce tronçon de quelques centaines de kilo­mètres de fron­tière, traversé par plus d’un million de réfugiés.

Cette figure, qui se balance au-dessus du conflit, encou­rage une réflexion constante sur la mise en place et le main­tien de telles fron­tières, dont la portée n’a fait que s’ac­croître depuis la créa­tion de l’œuvre.

Référence de l’œuvre

Murat Gök, Border (Hammock), photo­gra­phie de la perfor­mance éponyme, 2010 © Murat Gök