« Immigration : trente ans de « débat sans tabou » pour en arriver où ? » avec Sylvain Laurens, François Héran et Claire Rodier, Libération, 7 oct. 2019

Petit à petit, l’empilement législatif est allé ces trente dernières années vers plus de fermeté sans jamais renverser la table. De droite comme de gauche, les dirigeants se réfugient derrière des critères économiques qui n’ont pas lieu d’être.

Extrait

« Débattre de manière régu­lière et au grand jour » sur l’immigration. La phrase d’Edouard Philippe, qui ouvre ce lundi un débat parle­men­taire que l’exécutif veut rendre annuel, fait sourire Fran­çois Héran. « Quand on dit qu’il faut « oser regarder les choses en face », c’est saugrenu. Depuis Giscard d’Estaing, on ne cesse de parler d’immigration », lâche le profes­seur au Collège de France, où il dirige la chaire « Migra­tions et Société ». Maître de confé­rences en socio­logie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Sylvain Laurens abonde : « Depuis les années 70, il y a une mise à l’agenda perma­nente. Chaque année il y a un nouveau débat, mais le cadrage change : on prend l’angle de l’économie, de la laïcité, de la sécu­rité, etc. Chaque acteur poli­tique, y compris à gauche, joue ce jeu du « c’est tabou mais je vais en parler »… Mais c’est ce que disent tous les dirigeants !»

Gauche, droite, ces quarante dernières années, chacun y est allé de sa formule. « On a l’impression que c’est le FN qui a mis ça sur la table mais l’électorat du FN n’était pas un problème pour Giscard, ajoute Sylvain Laurens. L’hostilité aux étran­gers, telle qu’on la met dans la bouche du peuple, permet de justi­fier les poli­tiques migra­toires et élude la ques­tion de l’éventuel racisme des diri­geants. » Ce sera Jacques Chirac, avec son « bruit et l’odeur ». Ou Jean-Marie Le Pen, pour qui « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop ». Repre­nant l’antienne rabâ­chée sur tout l’échiquier poli­tique – lier « huma­nité et fermeté » quand on légi­fère sur l’immigration –, l’ex-ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron, Gérard Collomb, s’inscrivait dans la conti­nuité de la formule de Michel Rocard sur l’incapacité à « accueillir toute la misère du monde ».

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