Le Niger, nouvelle frontière de l’Europe et laboratoire de l’asile

Une enquête* de Catherine Guilyardi, journaliste, avec Florence Boyer, géographe et anthropologue,
et Pascaline Chappart, socio-anthropologue.

Les politiques migratoires européennes, toujours plus restrictives, se tournent vers le Sahel, et notamment vers le Niger – espace de transit entre le nord et le sud du Sahara. Devenu « frontière » de l’Europe, environné par des pays en conflit, le Niger accueille un nombre important de réfugiés sur son sol et renvoie ceux qui n’ont pas le droit à cette protection. Il ne le fait pas seul. La présence de l’Union européenne et des organisations internationales est visible dans le pays ; des opérations militaires y sont menées par des armées étrangères, notamment pour lutter contre la pression terroriste à ses frontières… au risque de brouiller les cartes entre enjeux sécuritaires et enjeux humanitaires. 

On confond souvent son nom avec celui de son voisin anglo­phone, le Nigéria, et peu de gens savent le placer sur une carte. Pour­tant, le Niger est un des grands pays du Sahel, cette bande déser­tique qui court de l’Atlantique à la mer Rouge, et l’un des rares pays stables d’Afrique de l’Ouest qui offrent encore une possi­bi­lité de transit vers la Libye et la Médi­ter­ranée. Envi­ronné par des pays en conflit ou touchés par le terro­risme de Boko Haram et d’autres groupes, le Niger accueille les popu­la­tions qui fuient le Mali et la région du lac Tchad et celles évacuées de Libye.

Sources : Union euro­péenne et Wikipedia

« Dans ce contexte d’instabilité régio­nale et de contrôle accru des dépla­ce­ments, la distinc­tion entre l’approche sécu­ri­taire et l’approche huma­ni­taire s’est brouillée », explique la cher­cheuse Florence Boyer, fellow de l’Institut Conver­gences Migra­tions, actuel­le­ment accueillie au Niger à l’Université Abdou Moumouni de Niamey. Géographe et anthro­po­logue (affi­liée à l’Urmis au sein de l’IRD, l’Institut de recherche pour le Déve­lop­pe­ment), elle connaît bien le Niger, où elle se rend régu­liè­re­ment depuis vingt ans pour étudier les migra­tions internes et externes des Nigé­riens vers l’Algérie ou la Libye voisines, au nord, et les pays du Golfe de Guinée, au sud et à l’ouest. Sa recherche porte actuel­le­ment sur le rôle que le Niger a accepté d’endosser dans la gestion des migra­tions depuis 2014, à la demande de plusieurs membres de l’Union euro­péenne (UE) pris dans la crise de l’accueil des migrants.

De la libre circulation au contrôle des frontières

« Jusqu’à 2015, le Niger est resté cet espace traversé par des milliers d’Africains de l’Ouest et de Nigé­riens remon­tant vers la Libye sans qu’il y ait aucune entrave à la circu­la­tion ou presque », raconte la cher­cheuse. La plupart venaient y travailler. Peu tentaient la traversée vers l’Eu­rope, mais dès le début des années 2000, l’UE, Italie en tête, cherche à freiner ce mouve­ment en négo­ciant avec Kadhafi, dépla­çant ainsi la fron­tière de l’Eu­rope de l’autre côté de la Médi­ter­ranée. La chute du dicta­teur libyen, dans le contexte des révo­lu­tions arabes de 2011, boule­verse la donne. Déchirée par une guerre civile, la Libye peine à retenir les migrants qui cherchent une issue vers l’Europe. Par sa posi­tion géogra­phique et sa rela­tive stabi­lité, le Niger s’impose progres­si­ve­ment comme un parte­naire de la poli­tique migra­toire de l’UE.

« Le Niger est la nouvelle frontière de l’Italie. »

Marco Pren­cipe, ambas­sa­deur d’Italie à Niamey


Le rôle crois­sant du Niger dans la gestion des flux migra­toires de l’Afrique vers l’Eu­rope a modifié les parcours des migrants, notam­ment pour ceux qui passent par Agadez, dernière ville du nord avant la traversée du Sahara. Membre du Groupe d’études et de recherches Migra­tions inter­na­tio­nales, Espaces, Sociétés (Germes) à Niamey, Florence Boyer observe ces mouve­ments et constate la présence gran­dis­sante dans la capi­tale nigé­rienne du Haut-Commis­sa­riat des Nations-Unies pour les réfu­giés (HCR) et de l’Organisation inter­na­tio­nale des migra­tions (OIM) chargée, entre autres missions, d’assister les retours de migrants dans leur pays. 

Le paysage urbain de la migra­tion à Niamey, capi­tale du Niger, par Florence Boyer, géographe
et anthro­po­logue à l’IRD.

« L’île de Lampe­dusa se trouve aussi loin du Nord de l’Italie que de la fron­tière nigé­rienne, note Marco Pren­cipe, l’ambassadeur d’Italie à Niamey, le Niger est la nouvelle fron­tière de l’Italie. » Une affir­ma­tion reprise par plusieurs fonc­tion­naires de la délé­ga­tion de l’UE au Niger rencon­trés par Florence Boyer et Pasca­line Chap­part. La cher­cheuse, sur le terrain à Niamey, effectue une étude comparée sur des méca­nismes d’externalisation de la fron­tière au Niger et au Mexique. « Depuis plusieurs années, la poli­tique exté­rieure des migra­tions de l’UE vise à délo­ca­liser les contrôles et à les placer de plus en plus au sud du terri­toire euro­péen, explique la post­doc­to­rante à l’IRD, le méca­nisme est complexe : les enjeux pour l’Eu­rope sont à la fois commu­nau­taires et natio­naux, chaque État membre ayant sa propre poli­tique ».

En novembre 2015, lors du sommet euro-afri­cain de La Valette sur la migra­tion, les auto­rités euro­péennes lancent le Fonds fidu­ciaire d’ur­gence pour l’Afrique « en faveur de la stabi­lité et de la lutte contre les causes profondes de la migra­tion irré­gu­lière et du phéno­mène des personnes dépla­cées en Afrique ». Doté à ce jour de 4,2 milliards d’euros, le FFUA finance plusieurs types de projets, asso­ciant le déve­lop­pe­ment à la sécu­rité, la gestion des migra­tions à la protec­tion humanitaire.

Le président nigé­rien consi­dère que son pays, un des plus pauvres de la planète, occupe une posi­tion privi­lé­giée pour contrôler les migra­tions dans la région. Le Niger est désor­mais le premier béné­fi­ciaire du Fonds fidu­ciaire, devant des pays de départ comme la Somalie, le Nigéria et surtout l’Érythrée d’où vient le plus grand nombre de deman­deurs d’asile en Europe.

« Le Niger s’y retrouve dans ce mélange des genres entre lutte contre le terrorisme et lutte contre l’immigration “irrégulière”. »

Florence Boyer, géographe et anthropologue


Pour l’anthropologue Julien Brachet, « le Niger est peu à peu devenu un pays cobaye des poli­tiques anti-migra­tions de l’Union euro­péenne, (…) les moyens finan­ciers et maté­riels pour lutter contre l’immigration irré­gu­lière étant décu­plés ». Ainsi, la mission euro­péenne EUCAP Sahel Niger a ouvert une antenne perma­nente à Agadez en 2016 dans le but d’«assister les auto­rités nigé­riennes locales et natio­nales, ainsi que les forces de sécu­rité, dans le déve­lop­pe­ment de poli­tiques, de tech­niques et de procé­dures permet­tant d’améliorer le contrôle et la lutte contre les migra­tions irrégulières ».

« Tout cela ne serait pas possible sans l’aval du Niger, qui est aussi à la table des négo­cia­tions, rappelle Florence Boyer. Il ne faut pas oublier qu’il doit faire face à la pres­sion de Boko Haram et d’autres groupes terro­ristes à ses fron­tières. Il a donc intérêt à se doter d’instruments et de person­nels mieux formés. Le Niger s’y retrouve dans ce mélange des genres entre la lutte contre le terro­risme et la lutte contre l’immigration « irré­gu­lière ». »

Tableau peint pour l’ONG nigé­rienne JMED dans ses locaux à Niamey. © Cathe­rine Guilyardi 2019

Peu avant le sommet de La Valette en 2015, le Niger promulgue la loi n°2015–36 sur « le trafic illi­cite de migrants ». Elle péna­lise l’hébergement et le trans­port des migrants ayant l’intention de fran­chir illé­ga­le­ment la fron­tière. Ceux que l’on quali­fiait jusque-là de « chauf­feurs » ou de « trans­por­teurs » au volant de « voitures taliban » (des 4x4 pick-up trans­por­tant entre 20 et 30 personnes) deviennent des « passeurs ». Une centaine d’arrestations et de saisies de véhi­cules mettent fin à ce qui était de longue date une source légale de revenus au nord du Niger. « Le but reste de bloquer la route qui mène vers la Libye, explique Pasca­line Chap­part. L’appui qu’apportent l’UE et certains pays euro­péens en coopé­rant avec la police, les douanes et la justice nigé­rienne, parti­cu­liè­re­ment en les formant et les équi­pant, a pour but de rendre l’État présent sur l’ensemble de son terri­toire. »

Des voix s’élèvent contre ces contrôles installés aux fron­tières du Niger sous la pres­sion de l’Europe. Pour Hamidou Nabara de l’ONG nigé­rienne JMED (Jeunesse-Enfance-Migra­tion-Déve­lop­pe­ment), qui lutte contre la pauvreté pour retenir les jeunes dési­reux de quitter le pays, ces dispo­si­tifs violent le prin­cipe de la liberté de circu­la­tion adopté par les pays d’Afrique de l’Ouest dans le cadre de la Cedeao. « La situa­tion des migrants s’est dété­riorée, dénonce-t-il, car si la migra­tion s’est tarie, elle continue sous des voies diffé­rentes et plus dange­reuses ». La traversée du Sahara est plus périlleuse que jamais, confirme Florence Boyer : « Le nombre de routes s’est multi­plié loin des contrôles, mais aussi des points d’eau et des secours. À ce jour, nous ne dispo­sons pas d’estimations solides sur le nombre de morts dans le désert, contrai­re­ment à ce qui se passe en Médi­ter­ranée ».

Comment le Mexique est-il devenu un pays-frontière ?
Entre­tien avec Fran­çoise Lestage

Cela fait une dizaine d’années que les États-Unis tentent d’externaliser le contrôle et la gestion des flux migra­toires en les sous-trai­tant au Mexique. Fran­çoise Lestage, anthro­po­logue fellow de l’Institut Conver­gences Migra­tions, spécia­liste des migra­tions mexi­caines, parti­cipe au sein de l’Urmis à un projet réunis­sant des cher­cheurs de France, du Sénégal, du Maroc, du Niger (avec Florence Boyer) et du Mexique.

Parte­naire de la poli­tique migra­toire de l’Union euro­péenne, le Niger a égale­ment déve­loppé une poli­tique de l’asile. Il accepte de rece­voir des popu­la­tions en fuite, expul­sées ou évacuées des pays voisins : les expulsés d’Algérie recueillis à la fron­tière, les rapa­triés nigé­riens dont l’État prend en charge le retour de Libye, les réfu­giés en lien avec les conflits de la zone, notam­ment au Mali et dans la région du lac Tchad, et enfin les personnes évacuées de Libye par le HCR. Le Niger octroie le statut de réfugié à ceux installés sur son sol qui y ont droit. Certains, parti­cu­liè­re­ment vulné­rables selon le HCR, pour­ront être réins­tallés en Europe ou en Amérique du Nord dans des pays volontaires.

Une plateforme pour la « réinstallation »
en Europe et en Amérique

Cette procé­dure de réins­tal­la­tion à partir du Niger n’a rien d’exceptionnel. Les Syriens réfu­giés au Liban, par exemple, béné­fi­cient aussi de l’ac­tion du HCR qui les sélec­tionne pour déposer une demande d’asile dans un pays dit « sûr ». La parti­cu­la­rité du Niger est de servir de plate­forme pour la réins­tal­la­tion de personnes évacuées de Libye. « Le Niger est devenu une sorte de labo­ra­toire de l’asile, raconte Florence Boyer, notam­ment par la mise en place de l’Emer­gency Transit Mecha­nism (ETM)»

L’ETM, proposé par le HCR, est lancé en août 2017 à Paris par l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie — côté UE — et le Niger, le Tchad et la Libye — côté afri­cain. Ils publient une décla­ra­tion conjointe sur les « missions de protec­tion en vue de la réins­tal­la­tion de réfu­giés en Europe ». Ce dispo­sitif se présente comme le pendant huma­ni­taire de la poli­tique de lutte contre « les réseaux d’immigration écono­mique irré­gu­lière » et les « retours volon­taires » des migrants irré­gu­liers dans leur pays effec­tués par l’OIM. Le processus s’accélère en novembre de la même année, suite à un repor­tage de CNN sur des cas d’es­cla­va­gisme de migrants en Libye. Fin 2017, 3 800 places sont promises par les pays occi­den­taux qui parti­cipent, à des degrés divers, à ce programme d’urgence. Le HCR annonce 6 606 places aujourd’hui, propo­sées par 14 pays euro­péens et améri­cains1.

Entrée du programme d’urgence Emer­gency Transit Mecha­nism (ETM) du HCR à Niamey. © Cathe­rine Guilyardi 2019

Trois caté­go­ries de personnes peuvent béné­fi­cier de la réins­tal­la­tion grâce à ce programme : évacués d’urgence depuis la Libye, deman­deurs d’asile au sein d’un flux dit « mixte » mêlant migrants et réfu­giés et personnes fuyant les conflits du Mali ou du Nigéria. Seule une mino­rité aura la possi­bi­lité d’être réins­tallée depuis le Niger vers un pays occi­dental. Le profi­ling (selon le voca­bu­laire du HCR) de ceux qui pour­ront béné­fi­cier de cette protec­tion s’effectue dès les camps de déten­tion libyens. Il consiste à repérer les plus vulné­rables qui pour­ront prétendre au statut de réfugié et à la réinstallation.

Une fois évacuées de Libye, ces personnes béné­fi­cient d’une procé­dure accé­lérée pour l’obtention du statut de réfugié au Niger. Elles ne posent pas de problème au HCR, qui juge leur récit limpide. La Commis­sion natio­nale d’éli­gi­bi­lité au statut des réfu­giés (CNE), qui est l’administration de l’asile au Niger, accepte de valider la sélec­tion de l’organisation onusienne. Les réfu­giés sont pris en charge dans le camp du HCR à Hamdal­laye, construit récem­ment à une ving­taine de kilo­mètres de la capi­tale nigé­rienne, le temps que le HCR prépare la demande de réins­tal­la­tion dans un pays occi­dental, multi­pliant les entre­tiens avec les réfu­giés concernés. Certains pays, comme le Canada ou la Suède, ne mandatent pas leurs services sur place, délé­guant au HCR la sélec­tion. D’autres, comme la France, envoient leurs agents pour un nouvel entre­tien (voir ce repor­tage sur la visite de l’Ofpra à Niamey fin 2018).

Parmi les évacués de Libye, moins des deux tiers sont éligibles à une réinstallation dans un pays dit « sûr ».

Depuis deux ans, près de 4 000 personnes ont été évacuées de Libye dans le but d’être réins­tal­lées, selon le HCR (5 300 autres ont été prises en charge par l’OIM et « retour­nées » dans leur pays). Un millier ont été évacuées direc­te­ment vers l’Europe et le Canada et près de 3 000 vers le Niger. C’est peu par rapport aux 50 800 réfu­giés et deman­deurs d’asile enre­gis­trés auprès de l’organisation onusienne en Libye au 12 août 2019. Et très peu sur l’ensemble des 663 400 migrants qui s’y trouvent selon l’OIM. La guerre civile qui déchire le pays rend la situa­tion encore plus urgente. 

Parmi les personnes évacuées de Libye vers le Niger, moins des deux tiers sont éligibles à une réins­tal­la­tion dans un pays volon­taire, selon le HCR. À ce jour, moins de la moitié ont été effec­ti­ve­ment réins­tallés, notam­ment en France (voir notre article sur l’accueil de réfu­giés dans les communes rurales fran­çaises).

Post du HCR sur le départ de réfu­giés du Niger en vue d’être réins­tallés en France, le 10 avril 2018 © Twitter

Malgré la publi­cité faite autour du programme de réins­tal­la­tion, le HCR déplore la lenteur du processus pour répondre à cette situa­tion d’urgence. « Le problème est que les pays de réins­tal­la­tion n’offrent pas de places assez vite, regrette Fatou Ndiaye, en charge du programme ETM au Niger, alors que notre pays hôte a négocié un maximum de 1 500 évacués sur son sol au même moment. » Le programme coor­donné du Niger ne fait pas excep­tion : le HCR rappe­lait en février 2019 que, sur les 19,9 millions de réfu­giés rele­vant de sa compé­tence à travers le monde, moins d’1 % sont réins­tallés dans un pays sûr.

Le dispo­sitif ETM, que le HCR du Niger qualifie de « couloir de l’espoir », concerne seule­ment ceux qui se trouvent dans un camp acces­sible par l’organisation en Libye (l’un d’eux a été bombardé en juillet dernier) et unique­ment sept natio­na­lités consi­dé­rées par les auto­rités libyennes (qui n’ont pas signé la conven­tion de Genève) comme pouvant relever du droit d’asile (Éthio­piens Oromo, Érythréens, Iraquiens, Soma­liens, Syriens, Pales­ti­niens et Souda­nais du Darfour).

« Si les portes étaient ouvertes dès les pays d’origine, les gens ne paieraient pas des sommes astronomiques pour traverser des routes dangereuses. »

Pasca­line Chap­part, socio-anthropologue

En décembre 2018, des Souda­nais mani­fes­taient devant les bureaux d’ETM à Niamey pour dénoncer « un trai­te­ment discri­mi­na­toire (…) par rapport aux Éthio­piens et Soma­liens » favo­risés, selon eux, par le programme. La repré­sen­tante du HCR au Niger a répondu à une radio locale que « la plupart de ces Souda­nais [venaient] du Tchad où ils ont déjà été reconnus comme réfu­giés et que, tech­ni­que­ment, c’est le Tchad qui les protège et fait la réins­tal­la­tion ». C’est effec­ti­ve­ment la règle en matière de droit huma­ni­taire mais, remarque Florence Boyer, « comment demander à des réfu­giés qui ont quitté les camps tcha­diens, pour beau­coup en raison de l’insécurité, d’y retourner sans avoir aucune garantie ? ».

Le camp du HCR à Hamdal­laye près de la capi­tale Niamey. © Cathe­rine Guilyardi 2019

La position de la France

La ques­tion du respect des règles en matière de droit d’asile se pose pour les personnes qui béné­fi­cient du programme d’urgence. En France, par exemple, pas de recours possible auprès de l’Ofpra en cas de refus du statut de réfugié. Pour Pasca­line Chap­part, qui achève deux ans d’enquêtes au Niger et au Mexique, il y a là une part d’hypocrisie : « Si les portes étaient ouvertes dès les pays d’origine, les gens ne paie­raient pas des sommes astro­no­miques pour traverser des routes dange­reuses par la mer ou le désert ». « Il est quasi­ment impos­sible dans le pays de départ de se présenter aux consu­lats des pays “sûrs” pour une demande d’asile », renchérit Florence Boyer. Elle donne l’exemple de Centre-Afri­cains qui ont échappé aux combats dans leur pays, puis à la traite et aux violences au Nigéria, en Algérie puis en Libye, avant de redes­cendre au Niger : « Ils auraient dû avoir la possi­bi­lité de déposer une demande d’asile dès Bangui ! Le cadre légis­latif les y auto­rise. »

Un jeune réfugié érythréen dans l’attente de sa réins­tal­la­tion en France, posant dans sa tente du camp d’Hamdallaye au Niger. © Cathe­rine Guilyardi 2019

En ce matin brûlant d’avril, dans le camp du HCR à Hamdal­laye, Mebratu2, un jeune Érythréen de 26 ans, affiche un large sourire. À l’ombre de la tente qu’il partage et a décorée avec d’autres jeunes de son pays, il annonce qu’il s’envolera le 9 mai pour Paris. Comme tant d’autres, il a fui le service mili­taire à vie imposé par la dicta­ture du président Issayas Afeworki. Mebratu était convaincu que l’Eu­rope lui offri­rait la liberté, mais il a dû croupir deux ans dans les prisons libyennes. S’il ne connaît pas sa desti­na­tion finale en France, il sait d’où il vient : « Je ne pensais pas que je serais vivant aujourd’hui. En Libye, on pouvait mourir pour une plai­san­terie. Merci la France. »

Mebratu a pris un vol pour Paris en mai dernier, financé par l’Union euro­péenne et opéré par l’OIM. En France, la Délé­ga­tion inter­mi­nis­té­rielle à l’hé­ber­ge­ment et à l’accès au loge­ment (Dihal) confie la prise en charge de ces réins­tallés à 24 opéra­teurs, asso­cia­tions natio­nales ou locales, pendant un an. Plusieurs dépar­te­ments et loca­lités fran­çaises ont accepté d’accueillir ces réfu­giés parti­cu­liè­re­ment vulné­rables après des années d’errance et de violences.

Pour le deuxième article de notre numéro spécial de rentrée, nous nous rendons en Dordogne dans des communes rurales qui accueillent ces « réins­tallés » arrivés via le Niger.

* Ce repor­tage fait partie d’une série de deux articles rédigés pour De facto. Vous pouvez aussi écouter le repor­tage de Cathe­rine Guilyardi, « Réfu­giés : du Niger à la Dordogne », et l’entretien de Fran­çois Héran, direc­teur de l’Institut Conver­gences Migra­tions, dans l’émis­sion Grand Repor­tage de France Culture du 30 août 2019.

1 France, Italie, Pays-Bas, Alle­magne, Norvège, Suède, Suisse, Belgique, Finlande, Malte, Royaume-Uni, Canada, États-Unis et Luxembourg.

2 Son prénom a été modifié.

Pour aller plus loin
L’auteure

Cathe­rine Guilyardi est jour­na­liste pour la BBC et Radio France, rédac­trice en chef de De facto.

Avec la contribution de :
  • Florence Boyer, géographe et anthro­po­logue à l’IRD actuel­le­ment en accueil au Groupe d’Etudes et de Recherche Migra­tions Espaces et Sociétés (Germes) de l’Université Abdou Moumouni de Niamey, fellow de l’Institut Conver­gences Migrations.
  • Fran­çoise Lestage, anthro­po­logue, spécia­liste des migra­tions mexi­caines, profes­seur à l’Uni­ver­sité Paris-Diderot et membre de l’Urmis, fellow de l’Institut Conver­gences Migrations.
  • Pasca­line Chap­part, anthro­po­logue, post-docto­rante en charge d’un projet de l’Urmis mené par F. Boyer et F. Lestage sur les effets des poli­tiques migra­toires au Niger et au Mexique (avec le Colegio de la Fron­tera Norte).
Pour citer cet article

Cathe­rine Guilyardi, « L’ex­ter­na­li­sa­tion de la fron­tière de l’Eu­rope au Niger, labo­ra­toire de l’asile ? », Dossier « Réfu­giés : du Niger à la Dordogne », De facto [En ligne], 10–11 | été 2019, mis en ligne le 30 août 2019. URL : https://​www​.icmi​gra​tions​.cnrs​.fr/​2​0​1​9​/​0​8​/​0​7​/​d​e​f​a​c​t​o​-​e​te-10/

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