Le plan Bienvenue en France : nouveau volet d’une politique migratoire sélective

Lama Kabbanji, démographe

DF05-PDC

Crédits photographiques : AdrienChd via Flickr

Slogan contre la hausse des frais d’inscription à l’université affiché sur la porte du bâti­ment d’accueil sur le campus Pessac de l’université Bordeaux Montaigne, le 5 février 2019.

La nouvelle « stra­tégie d’attractivité pour les étudiants inter­na­tio­naux », présentée par le Premier ministre Édouard Philippe le 19 novembre 2018 et dénommée ironi­que­ment Bien­venue en France, soulève depuis plus de trois mois l’indignation d’une grande partie de la commu­nauté univer­si­taire[1]. L’une des mesures phares préco­nisée et justi­fiée comme « un choix de soli­da­rité et d’ouverture » permet­tant de « mieux accueillir les étudiants qui choi­sissent la France », selon les termes du Premier ministre, est la hausse exor­bi­tante des frais d’inscription pour les étudiants extra-commu­nau­taires : 2 770 € en Licence — au lieu de 170 € — et 3 770 € en Master et Doctorat — au lieu de 243 € et 380 €. Cette stra­tégie est censée permettre à la France, « face à une concur­rence inter­na­tio­nale de plus en plus vive », de « rester l’un des acteurs majeurs de cette mondia­li­sa­tion des études supé­rieures » et d’attirer plus d’étudiants internationaux.

Cette stra­tégie est un exemple parfait de ce qui se passe lorsque logiques écono­miques et poli­tiques prennent le dessus sur les logiques univer­si­taires. Elle est clai­re­ment sous-tendue par une idéo­logie néo-libé­rale pour laquelle l’enseignement supé­rieur est une marchan­dise qui se monnaye et non un service public dans lequel l’État doit investir. Dans cette optique, l’un des piliers du Plan Bien­venue en France est d’assurer « le rayon­ne­ment de l’enseignement supé­rieur fran­çais à l’étranger », en d’autres termes de promou­voir l’offre de forma­tion d’enseignement supé­rieur fran­çaise payante.

Ce plan s’inscrit dans la conti­nuité de la poli­tique de l’immigration choisie mise en place au début des années 2000 par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy. Elle visait entre autre à mieux sélec­tionner les migrants selon les besoins écono­miques de la France. Les étudiants et les cher­cheurs y figu­raient en bonne posi­tion. La stra­tégie Bien­venue en France va encore plus loin dans la sélec­tion, propo­sant pour les étudiants l’instauration de droits d’inscription diffé­ren­ciés selon leur origine géogra­phique. Le gouver­ne­ment en est certain, cela atti­rera plus d’étudiants étran­gers en France, mais l’objectif est-il vrai­ment celui-là ou de trouver un moyen supplé­men­taire pour sélec­tionner les candi­dats à l’immigration ?

Il n’est pas certain que ce plan attire de nouveaux étudiants. L’examen des données du minis­tère de l’enseignement supé­rieur montre que cette sélec­ti­vité va plutôt accen­tuer la recon­fi­gu­ra­tion des mobi­lités étudiantes inter­na­tio­nales vers la France[2]. Depuis la mise en place de la poli­tique de l’immigration choisie au début des années 2000, la pro­gression du nombre d’étudiants étran­gers en France s’est ralen­tie, parti­cu­liè­re­ment depuis 2005. Ce ralen­tis­se­ment peut être en partie attribué à la créa­tion, en 2005, des Centres pour les études en France (CEF), auxquels a succédé Campus France[3]. Les critères de sélec­tion à l’entrée ont été multi­pliés, notam­ment sur la base de la classe sociale[4]. Les étudiants sont de plus en plus orientés vers des forma­tions payantes, comme les grandes écoles, au détri­ment des univer­sités. Des disci­plines sont favo­ri­sées comme les sciences, le génie ou le commerce, au détri­ment des forma­tions en lettres, sciences sociales et humaines.

Pour des raisons écono­miques et diplo­ma­tiques, le plan Bien­venue en France vise à recon­fi­gurer la géogra­phie des mobi­lités étudiantes en accor­dant une prio­rité aux étudiants des pays dits émer­gents ou déve­loppés, comme la Chine, le Brésil ou la Russie. Or, la moitié des étudiants étran­gers en France vient du Maghreb ou d’Afrique subsa­ha­rienne où les diplômes fran­çais ont une valeur sociale bien établie sur le marché du travail. Ces derniers se tournent déjà vers des pôles nouveaux tels que la Chine, l’Arabie Saou­dite ou la Turquie. La France risque donc de perdre encore plus d’étudiants en augmen­tant ses frais de scolarité.

Alors que le texte du décret et de l’ar­rêté fixant le montant des droits d’inscription des étudiants natio­naux et extra-commu­nau­taires vient d’être publié, le CNESER a voté le 11 mars, à la quasi unani­mité, contre l’arrêté. Vingt-deux univer­sités ont décidé qu’elles n’appliqueraient pas la hausse des frais et plus de 60 motions ont été votées par les conseils d’administration de plusieurs établissements.

Le Plan Bien­venue en France ne menace pas unique­ment les condi­tions d’accès aux études supé­rieures des étudiants étran­gers. Il institue un chan­ge­ment de modèle. J’y vois une première étape vers une hausse géné­ra­lisée des frais d’inscription, comme le suggé­rait déjà le Collectif d’éco­no­mistes ACIDES dans un ouvrage de 2015[5]. Que ce soit pour soutenir les étudiants étran­gers ou défendre une idée de l’accès pour tous à l’Uni­ver­sité, la commu­nauté acadé­mique reste très mobi­lisée[6].


Notes

[1] Voir le site dédié aux infor­ma­tions rela­tives aux mobi­li­sa­tions en cours et au décryp­tage de cette stra­tégie et la carte des établis­se­ments qui se sont prononcés contre la hausse des frais. 

[2] Lama, Kabbanji et Sorana Toma, « Attirer les ”meilleurs” étudiants étran­gers : genèse d’une poli­tique sélec­tive », The Conver­sa­tion, décembre 2018.

[3] Agence fran­çaise pour la promo­tion de l’enseignement supé­rieur, l’accueil et la mobi­lité internationale.

[4] Voir à ce sujet les travaux de Alexis Spire, notam­ment son article « Contrôler et choisir. La sélec­tion des étudiants candi­dats à l’émigration vers la France », dans l’ouvrage de Sylvie Mazzella, La Mondia­li­sa­tion étudiante : le Maghreb entre Nord et Sud, Karthala, 2009.

[5] Collectif ACIDES. 2015. Arrê­tons les frais ! Pour un ensei­gne­ment supé­rieur gratuit et éman­ci­pa­teur. Raisons d’agir. Paris.

[6] Une nouvelle rencontre est orga­nisée le 21 mars à l’IHEAL, à l’initiative de la Fédé­ra­tion Sciences sociales Suds pour faire un premier bilan d’étape des actions menées. Univer­sité Ouverte propose une première analyse de l’arrêté qui vient d’être publié.

Auteur

Lama Kabbanji est cher­cheuse à l’Institut de recherche pour le déve­lop­pe­ment (IRD), ratta­chée au labo­ra­toire CEPED, membre des Collec­tifs MobÉ­lites et Univer­sité Ouverte et fellow de l’institut Conver­gences Migrations.

Pour citer cet article

Lama Kabbanji, « Le plan Bien­venue en France : nouveau volet d’une poli­tique migra­toire sélec­tive », Dossier “Les mobi­lités étudiantes et le plan gouver­ne­mental ‘Bien­venue en France’”, De facto [En ligne], 5 | mars 2019, mis en ligne le 15 mars 2019. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2019/03/14/defacto‑5–003/

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