Françoise Blum, historienne
L’histoire de la présence des étudiants africains en France est liée à celle de l’Empire français et à la décolonisation.
Crédits : Archives de Moscou
Tiémoko Garan Kouyaté, élève instituteur venu du Soudan français à l’école normale d’Aix-en-Provence en 1925–26.
Avant la Seconde Guerre mondiale, l’Empire n’est pas très généreux en matière d’enseignement, les écoles sont rares et sommaires. Elles ne prétendent former que des auxiliaires. Qu’ils soient instituteurs, employés, interprètes ou encore « médecins africains », il ne s’agit pas pour l’autochtone d’égaler le colon en termes de savoir ni de responsabilité. Il est là pour l’épauler. L’« école rurale », mise en place après la Première Guerre mondiale, repose sur le principe qu’il ne faut pas arracher l’Africain à son milieu — rural par essence — ni en faire un « déclassé » que son amertume conduirait à contester l’œuvre colonisatrice et « civilisatrice ».
Après la Deuxième Guerre mondiale et la montée des aspirations égalitaires des colonisés contestant de plus en plus l’Empire, Paris décide de former des cadres locaux. Pour permettre aux Africains d’accéder aux postes de responsabilité, il est décidé d’aligner l’enseignement sur le cadre métropolitain, mais le retard est considérable. La qualité des écoles primaires doit être améliorée, il faut mettre en place des établissements secondaires permettant d’aller jusqu’au baccalauréat et créer de toutes pièces un enseignement supérieur jusqu’alors inexistant. Beaucoup d’Africains n’ont donc pas de choix que de poursuivre leurs études en métropole.
Rares sont les étudiants africains à se risquer en France avant la deuxième guerre mondiale
Au XIXe siècle, quelques étudiants sont envoyés en France grâce aux bourses octroyées par le Conseil général de Saint-Louis. Entre les deux guerres, quelques élèves des « quatre communes » (dans l’actuel Sénégal), dont les ressortissants sont citoyens français, viennent se former en France. C’est le cas de quelques pionniers, dont le plus célèbre reste le premier président sénégalais Léopold Sédar Senghor. Lamine Gueye, autre homme politique majeur du Sénégal des années 30 aux années 50le droit en France. Le prince du Dahomey (actuel Bénin), Tovalou Quenum, est directeur avec René Maran de l’éphémère revue noire Les Continents dans l’entre-deux-guerres. Mais leur nombre ne dépassera pas 75 par an, plutôt autour d’une quarantaine, avant le déclenchement du deuxième conflit mondial.
La seule formation encouragée pour les Africains est celle de vétérinaire, à laquelle préparent les écoles de Maisons-Alfort, Lyon et Toulouse. On trouve aussi la trace d’élèves africains à l’école des instituteurs d’Aix, mais l’expérience ne dure guère. Des résidents s’opposent au directeur, probablement pour son racisme, et certains sont expulsés pour « indiscipline ». C’est le cas de Tiémoko Garan Kouyaté venu du Soudan français (actuel Mali) et de deux autres camarades. Kouyaté entre au Parti communiste français (il en sera exclu en 1933) et milite pour l’indépendance de son pays, mais il sera déporté et assassiné par les nazis au camp de Mauthausen en 1944.
Les sujets de l’Empire deviennent des citoyens de l’Union française, créée après la Deuxième Guerre mondiale. Un véritable contingent d’étudiants africains est dès lors envoyé en France. En 1949, ils sont environ 1 000, boursiers pour moitié, élèves du secondaire ou étudiants. Leur nombre double l’année suivante. Il double encore deux ans plus tard, en 1952–53, et ne cessera d’augmenter pour atteindre 8 000 étudiants avant les indépendances en 1960 (44 % sont encore boursiers, 17 % sont des filles et 13 % mariés).
Les indépendances ne marquent pas de rupture
Les nouveaux États africains continuent à envoyer une partie de leur jeunesse étudier dans l’ancienne métropole et assument de plus en plus le financement des bourses, prenant le relais du Fonds français d’aide à la coopération (FAC) Une communauté en exil se forme avec des étudiants empêchés de rentrer chez eux pour des raisons politiques, notamment chez les Guinéens et les Camerounais.
Crédits : Françoise Blum
Évolution du nombre d’étudiants d’Afrique sub-Saharienne anciennement française venus en France de 1961 à 1977 — Source : OCAU (Office de coopération universitaire)
Ce succès français ne se dément pas les années suivantes, malgré la concurrence qui se développe en matière d’offre universitaire, particulièrement avec l’URSS et les pays de l’Est beaucoup plus généreux en matière de bourses. La France reste la principale destination des étudiants venus de son ancien Empire d’Afrique. Ses humanités gardent un prestige certain, mais c’est aussi pour une question de langue — même si l’émigration étudiante se diversifie au cours des années 70 avec l’arrivée d’Éthiopiens et d’Africains anglophones. Cette attraction est liée aussi aux accords et conventions signés entre la France et ses anciennes colonies qui donnent aux étudiants africains la liberté de circulation et d’établissement — donc de travail — sur le territoire français. Leurs associations ne sont pas soumises au régime des associations étrangères, mais à celui des associations françaises, comme c’est le cas pour la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) qui joue le rôle de syndicat et de parti pour les étudiants (sa dissolution en 1980 marquera la fin d’une époque). Par ailleurs, les diplômes français et africains bénéficient d’une « validité de plein droit » entre eux. Il n’y a pas besoin d’équivalence entre les deux zones, comme c’est le cas avec les pays de l’Est.
La France aurait pu mieux se positionner dans la cartographie mondiale des mobilités étudiantes
Une grande partie du personnel politique d’Afrique francophone a étudié en France : Abdou Diouf qui fut Président du Sénégal, Alpha Condé, actuel Président de la Guinée, Robert Dossou, organisateur de la conférence nationale du Bénin qui ouvra la voie à la démocratie en 1990, Henri Lopes, écrivain, ancien Premier ministre du Congo et ancien Ambassadeur en France, ainsi que l’ancienne ministre de la Culture du Congo-Brazzaville, Aimée Mambou Gnali, fonctionnaire internationale et écrivaine, etc. Mais ce statut spécial octroyé aux étudiants africains va disparaître au mitan des années 70 avec la mise en place d’une politique migratoire de plus en plus restrictive. Les enfants de ceux et celles qui avaient bénéficié de leurs études en France pour faire une brillante carrière choisiront d’étudier ailleurs, particulièrement aux États-Unis.
Dans la seconde moitié des années 70, s’installe une logique qui perdure jusqu’à aujourd’hui basée sur une politique de coopération plutôt timide et des mesures de plus en plus restrictives en matière de visa. La très grande France de l’Empire et de l’Union africaine s’est repliée sur elle-même. L’Empire a vécu et c’est heureux, mais il n’y a plus de politique universitaire à l’égard des anciens territoires africains, alors que perdure un affairisme basé sur des rapports toujours inégaux. Les étudiants africains qui avaient connu un destin hors du commun après leur passage par l’Université française avaient su exploiter cette double culture. Sans eux, il n’y aurait pas eu de « littérature-monde ». Ils auraient pu être les précurseurs de liens franco-africains enfin débarrassés des scories de l’Empire. Pour cela, il aurait fallu — il faudrait — garder les portes de la Nation et de l’Université ouvertes.
Auteur
Françoise Blum est ingénieure de recherches au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (Université de Paris 1/CNRS). Elle est fellow de l’Institut Convergences Migrations.
Pour citer cet article
Françoise Blum, « Étudiants africains en France : une si longue histoire… sans avenir ? », Dossier “Les mobilités étudiantes et le plan gouvernemental ‘Bienvenue en France’”, De facto [En ligne], 5 | mars 2019, mis en ligne le 15 mars 2019. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2019/03/14/defacto‑5–001/
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