Non, les migrants ne représentent pas un fardeau pour les finances publiques des pays d’accueil

Hippolyte d’Albis, économiste

DF04-PDC

Crédits photographiques : Victor Hamand pour RFI

En majo­rité, les migrants sont jeunes et repré­sentent une force de travail pour la popu­la­tion active. Jeunes migrants et mineurs isolés accueillis au centre de l’association Coallia, Paris.

Les personnes immi­grées mettent-elles en danger l’équilibre finan­cier du système de protec­tion sociale ? L’image de cet homme d’origine étran­gère, au chômage et père de nombreux enfants, qui touche des milliers d’euros d’allocations est inlas­sa­ble­ment brandie comme preuve irré­fu­table du bien-fondé de cette opinion. Selon l’European Social Survey qui sonde régu­liè­re­ment les Euro­péens, cette inquié­tude revient plus fréquem­ment que celles asso­ciées au marché du travail. Ainsi, parmi ceux qui se déclarent pour une réduc­tion des flux migra­toires, 61 % consi­dèrent que les personnes immi­grées béné­fi­cient davan­tage de l’État-providence qu’elles n’y parti­cipent. L’inquiétude est égale­ment palpable chez ceux qui se déclarent favo­rables à la migra­tion car 30 % d’entre elles corro­borent cette opinion.

Il est souvent commode, dans le débat public et poli­tique, de déve­lopper un argu­men­taire écono­mique pour justi­fier une poli­tique migra­toire restric­tive. Les terrains écono­miques et fiscaux paraissent plus stables à ceux qui refusent de s’aventurer sur les ques­tions rela­tives aux valeurs ou à la culture des popu­la­tions immi­grées. Ils se cachent derrière des argu­ments écono­miques et pour­tant, ils font fi de nos recherches, qu’ils décident soit d’ignorer, soit de disqua­li­fier en décla­rant le plus docte­ment possible : « l’économie n’est pas une science ».

Il est vrai qu’étudier les effets de la migra­tion sur les finances publiques n’est pas une science facile. Il faut évaluer les consé­quences multiples que peuvent avoir les personnes immi­grées sur la situa­tion écono­mique du reste de la popu­la­tion et dépasser une simple comp­ta­bi­li­sa­tion des coûts et béné­fices pour l’État. Prendre en compte les consé­quences de l’immigration sur les revenus et l’emploi des natifs demande l’étude complexe de très nombreuses données.

« Nos travaux montrent que le solde des finances publiques s’améliore avec la migration, et ce, dès l’année de l’accroissement du flux. »

Dans un programme de recherche mené avec Ekrame Boub­tane et Dramane Couli­baly, nous analy­sons les effets de la migra­tion sur l’économie des pays d’accueil. Nous avons publié une étude l’an dernier dans la revue Science Advances portant sur quinze pays d’Europe de l’Ouest entre 1985 et 2015. Nous montrons que les 10,5 millions de deman­deurs d’asile arrivés au cours de cette période n’ont pas engendré d’effets écono­miques ou fiscaux néga­tifs ; l’impact deve­nant même positif après quelques années, lorsqu’une partie des demandes est acceptée. Dans une étude publiée cette année, nous arri­vons à la conclu­sion que les flux migra­toires, dans leur ensemble, ont accru le revenu moyen, diminué le taux de chômage et amélioré le solde des finances publiques dans les 19 prin­ci­paux pays de l’OCDE entre 1980 et 2015.

En effet, avec l’arrivée de migrants, les personnes en âge de travailler augmentent dans la popu­la­tion, ce qui produit une série de consé­quences écono­miques et fiscales favo­rables : le PIB par habi­tant croît (d’autant plus forte­ment que la popu­la­tion du pays d’accueil est âgée) et, si certaines dépenses publiques augmentent (notam­ment celles liées à la famille et à l’enfance), d’autres dimi­nuent, parti­cu­liè­re­ment pour les retraites et les personnes les plus âgées. L’effet est positif et le solde des finances publiques s’améliore avec la migra­tion, et ce, dès l’année de l’accroissement des flux.

« Toutes nos données sont disponibles et notre méthode transparente. »

Ni la migra­tion dans son ensemble, ni les deman­deurs d’asile en tant qu’individus, ne repré­sentent une charge écono­mique ou budgé­taire pour les pays d’accueil. Ils peuvent même repré­senter une oppor­tu­nité écono­mique, bien qu’il ne faille pas leur faire jouer un rôle qui n’est pas le leur, celui de « relancer » l’économie des pays riches. S’il est évident que la migra­tion inter­na­tio­nale soulève de multiples enjeux poli­tiques et sociaux, ne les compli­quons pas, en nous encom­brant de la fausse croyance qui associe les migrants à un fardeau économique.

Notre travail reçoit, en général, un écho impor­tant dans la presse et sur les réseaux sociaux, mais la majo­rité de ces réac­tions reste forte­ment pola­risée. Si nos conclu­sions sont mises en avant par ceux qui se posi­tionnent pour les migra­tions, ceux qui s’y opposent cherchent à décré­di­bi­liser soit la méthode soit les auteurs. On nous gratifie souvent d’un « vos chiffres sont faux !» sans proposer d’alternative. Pour­tant, toutes nos données sont dispo­nibles et notre méthode est transparente.

À nos contra­dic­teurs de démon­trer que nos résul­tats ne sont pas robustes, d’utiliser un autre jeu de données ou de modi­fier une hypo­thèse de modé­li­sa­tion. Malgré nos très nombreux tests de robus­tesse, il est possible qu’ils arrivent à de nouvelles conclu­sions. Ce serait inté­res­sant et c’est préci­sé­ment ainsi que la recherche progresse !

Auteur

Hippo­lyte d’Albis est direc­teur de recherche au CNRS et profes­seur à l’École d’économie de Paris​.Il est fellow de l’Ins­titut Conver­gences Migrations.

Pour citer cet article

Hippo­lyte d’Albis, « Non, les migrants ne repré­sentent pas un fardeau pour les finances publiques des pays d’accueil », Dossier « Le main­tien de l’État provi­dence est-il compa­tible avec l’accueil des migrants ? », De facto [En ligne], 4 | février 2019, mis en ligne le 15 février 2019. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2019/02/14/defacto‑4–003/

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