Comment l’économiste arrive-t-il au constat que les immigrés ne coûtent pas plus qu’ils ne rapportent à l’État français ?

Xavier Chojnicki, économiste

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Crédits photographiques : Martina Huber

En Suède, le programme Demo­kra­terna permet aux immi­grés de se former pour accéder au monde du travail et parti­ciper à la produc­tion de la richesse.

L’immigration en France joue-t-elle un rôle négatif sur l’équilibre des comptes publics ? Deux tiers des Fran­çais en sont convaincus, selon un sondage de l’Ifop publié en novembre dernier. Pour­tant, les études écono­miques menées en France, comme dans les autres pays déve­loppés, montrent que la ‘contri­bu­tion nette’ des immi­grés (diffé­rence entre les recettes et de dépenses publiques impu­tées aux immi­grés) est comprise entre plus ou moins 0,5 % du PIB selon les pays consi­dérés. Ces montants sont très faibles en compa­raison des défi­cits publics auxquels font face la plupart des pays de l’OCDE.

Comment, cher­cheurs, calcu­lons-nous ce que versent et reçoivent les immi­grés au budget de l’État ? Dans une nouvelle étude que nous avons publiée en 2018, avec mes collègues Lionel Ragot et Ndeye-Penda Sokhna, nous avons pu analyser le budget des admi­nis­tra­tions publiques (État, collec­ti­vités terri­to­riales et admi­nis­tra­tions de Sécu­rité sociale) sur une tren­taine d’années, une période très longue.

La logique est assez simple. Il s’agit de comparer les béné­fices que les immi­grés retirent du système public (trans­ferts sociaux, éduca­tion, santé, retraite, etc.) avec leur contri­bu­tion à ce même système (impôts sur le revenu, TVA, coti­sa­tions sociales, CSG, etc.). On compare leur contri­bu­tion nette avec celle des natifs, c’est-à-dire les Fran­çais de nais­sance[1]. Pour obtenir des résul­tats fiables, il est essen­tiel de prendre en compte l’hétérogénéité des indi­vidus, en parti­cu­lier leur âge et leur niveau de quali­fi­ca­tion. On désa­grège donc chacune des dépenses et recettes selon l’origine de la personne, son âge et son niveau de quali­fi­ca­tion. Pour l’origine, on distingue le natif de l’immigré et, pour les dernières années étudiées, il est même possible de distin­guer l’immigré extra-commu­nau­taire de celui de l’UE. On passe donc de l’individu à un niveau global et c’est là que cela se complique !

La logique est simple mais l’utilisation des données complexe

Parmi les enquêtes microé­co­no­miques[2] que nous utili­sons, il y a parti­cu­liè­re­ment celles menées tous les 5 ans par l’Insee et appe­lées Budget de Famille. Elles recons­ti­tuent la comp­ta­bi­lité des ménages, c’est-à-dire l’ensemble de leurs revenus et dépenses. Première diffi­culté, certaines ressources ou dépenses ne sont pas indi­vi­dua­li­sées, mais repor­tées au niveau du ménage. C’est le cas, par exemple, des allo­ca­tions fami­liales, du RSA, des aides au loge­ment, de l’impôt sur le revenu ou des impôts locaux. Deuxième diffi­culté, pour calculer les coti­sa­tions sociales ou la CSG, nous devons ‘recons­truire’ les revenus bruts et appli­quer les barèmes des coti­sa­tions et les taux de CSG en vigueur aux dates des enquêtes. Idem pour les impôts indi­rects, comme la TVA, que nous devons estimer à partir de la consom­ma­tion des ménages.

Enfin, les enquêtes de l’INSEE portant sur environ 20 000 indi­vidus, il faut mettre en lien les montants indi­vi­duels que nous avons estimés avec les chiffres du budget national. Les montants indi­vi­duels sont multi­pliés par le nombre d’individus dans chaque caté­gorie d’âge, de niveau de quali­fi­ca­tion et d’origine. Résultat : nous obte­nons pour les années des enquêtes « Budget de famille » (tous les cinq ans environ de 1979 à 2011) la ‘contri­bu­tion nette indi­vi­duelle aux finances publiques’ de chaque indi­vidu selon sa catégorie.

La population immigrée est beaucoup plus concentrée dans les catégories d’âge qui correspondent à la vie active

Les contri­bu­tions versées dépendent de l’activité d’une personne qui varie elle-même selon son niveau de quali­fi­ca­tion et son taux d’employabilité. L’économiste des migra­tions n’est donc pas surpris de constater que la contri­bu­tion nette d’un immigré est très infé­rieure à celle d’un natif à tout âge, sauf au-delà de 60 ans car les dépenses de santé et de retraite sont infé­rieures pour les immi­grés. Si l’on prend l’exemple d’un natif de 35 ans, en 2011, sa contri­bu­tion nette est posi­tive de 18 000 euros[3], c’est-à-dire qu’il paye plus de taxes qu’il ne perçoit d’argent de l’État. La contri­bu­tion nette d’un immigré au même âge est infé­rieure de 55 % et, s’il vient d’un pays extra-commu­nau­taire, sa contri­bu­tion nette est 4 fois infé­rieure à celle d’un immigré de l’UE.

Cela veut-il dire que la popu­la­tion immi­grée dans son ensemble constitue un coût impor­tant pour les finances publiques ? En fait, non… car l’immigré de 35 ans verse quand même 9 900€ de plus que l’État ne dépense pour lui. Et comme la popu­la­tion immi­grée est beau­coup plus concen­trée dans les caté­go­ries d’âge qui corres­pondent à la vie active (entre 25 et 60 ans), celle où les indi­vidus contri­buent davan­tage aux finances publiques qu’ils n’en béné­fi­cient, la contri­bu­tion nette globale des immi­grés se rapproche de zéro. C’est-à-dire que la popu­la­tion immi­grée, dans son ensemble, verse quasi­ment autant aux admi­nis­tra­tions publiques qu’elle n’en reçoit.

La ques­tion de la contri­bu­tion des immi­grés à l’État provi­dence est-elle donc résolue pour l’économiste ? Pas tout à fait car deux hypo­thèses cruciales doivent être discu­tées. Premiè­re­ment, les enfants dits de la « seconde géné­ra­tion », nés en France, doivent-ils être inclus dans la popu­la­tion immi­grée ? Si c’est le cas, la contri­bu­tion nette des immi­grés est clai­re­ment néga­tive. Seconde hypo­thèse, les natifs doivent-ils être consi­dérés comme étant les seuls à béné­fi­cier des dépenses publiques qui varient peu avec la taille de la popu­la­tion, comme la Défense par exemple ? Si l’on consi­dère que la popu­la­tion immi­grée n’en béné­ficie pas, sa contri­bu­tion devient positive.

Nous avons fait le choix de ne pas ratta­cher les enfants d’immigrés à leurs parents, car cela fait peu de sens d’intégrer unique­ment leur contri­bu­tion à une période de leur vie où ils ne versent aucune taxe à l’État. Quant à la consom­ma­tion de biens publics, comme la Défense, même si son montant total est indé­pen­dant du nombre d’immigrés présents sur le terri­toire national, elle profite à tous ceux qui vivent sur le sol national. Nous avons donc affecté ces dépenses à l’ensemble de la popu­la­tion, natifs et immi­grés compris.

Sur la tren­taine d’années analy­sées par notre étude, la contri­bu­tion nette de l’immigration aux finances publiques est donc très légè­re­ment néga­tive pour la plupart des années. Les Fran­çais qui consi­dèrent que les immi­grés coûtent plus aux finances publiques qu’ils ne lui rapportent ont-ils donc lu notre étude ? Nous en doutons. Cette opinion semble plutôt basée sur la menace fantasmée que ferait peser l’im­mi­gra­tion sur l’État provi­dence. La réalité est que l’immigration n’a déter­miné ni l’ampleur ni l’évolution du déficit budgé­taire de notre pays sur ces 30 dernières années. Si la struc­ture par âge et par quali­fi­ca­tion des immi­grés ne change pas dans les années à venir, cette contri­bu­tion conti­nuera sans aucun doute à rester proche de l’équilibre.

Notes

1 On peut être immigré et natu­ra­lisé Fran­çais. Selon la défi­ni­tion adoptée par le Haut Conseil à l’In­té­gra­tion, un immigré est une personne née étran­gère à l’étranger et rési­dant en France.

2 La microé­co­nomie étudie les agents écono­miques comme le consom­ma­teur, l’entreprise, etc. alors que la macroé­co­nomie désigne l’étude globale de l’économie, à travers des agré­gats comme la consom­ma­tion, la produc­tion, l’emploi. Notre étude utilise des données d’enquête indi­vi­duelles (niveau microé­co­no­mique) afin de désa­gréger les comptes publics (niveau macroéconomique).

3 En euros constants de 2005.

Auteur

Xavier Choj­nicki est profes­seur à l’uni­ver­sité de Lille, cher­cheur au labo­ra­toire LEM-CNRS (Lille Economie et Mana­ge­ment) et fellow de l’Institut Conver­gences Migra­tions. Il est l’auteur, avec L. Ragot et N‑P Sokhna, de « L’impact budgé­taire de 30 ans d’immigration en France : une approche comp­table » , docu­ment de travail du Cepii n°2018–04.

Pour citer cet article

Xavier Choj­nicki, « Comment l’économiste arrive-t-il au constat que les immi­grés ne coûtent pas plus qu’ils ne rapportent à l’État fran­çais ? », Dossier « Le main­tien de l’État provi­dence est-il compa­tible avec l’accueil des migrants ? », De facto [En ligne], 4 | février 2019, mis en ligne le 15 février 2019. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2019/02/14/defacto‑4–001/

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