Comment l’Europe accueille – ou non – les demandeurs d’asile depuis 2015

François Héran, démographe 

Depuis le règle­ment du Conseil euro­péen du 11 juillet 2007, les membres de l’Union sont tenus de trans­mettre à Euro­stat un état trimes­triel des demandes d’asile et un bilan annuel des déci­sions légales. Euro­stat y ajoute les données des quatre membres de l’Association euro­péenne de libre-échange (AELE) : Suisse, Liech­ten­stein, Norvège et Islande. Ces données sont acces­sibles en ligne.

Le graphique[i] rapproche plusieurs tableaux publiés par Euro­stat. Il divise le nombre de déci­sions posi­tives en faveur des deman­deurs d’asile par la popu­la­tion de chaque pays (en millions d’habitants), puis divise le résultat par l’écart relatif de son PIB à la moyenne de l’Union euro­péenne. Les diffé­rences de taille et de richesse entre les pays sont telles que la compa­raison des chiffres absolus n’a pas de sens.

Posi­tive ou néga­tive, une déci­sion peut concerner un dossier déposé l’année précé­dente et faire l’objet d’un recours. Dans le cas de la France, la première instance est l’OFPRA (Office fran­çais des réfu­giés et des apatrides), la seconde la CNDA (Cour natio­nale du droit d’asile). Nous avons addi­tionné les déci­sions posi­tives des deux instances, qui corres­pondent à des personnes physiques diffé­rentes. L’octroi à vie du statut de réfugié au titre de la Conven­tion de Genève de 1951 (étendue aux deman­deurs non euro­péens par le Proto­cole de New York de 1967) est addi­tionné à l’octroi d’une protec­tion subsi­diaire, tempo­raire ou huma­ni­taire. La part de cette dernière a progressé de 26 % à 50 % de 2015 à 2017, marquant ainsi un net recul du niveau de protec­tion pour les réfugiés.

Entre 2008 et 2014, le nombre total de demandes d’asile trai­tées par les pays de l’Espace écono­mique euro­péen (EEE) avait déjà progressé de 330 000 à 543 000. L’afflux des deman­deurs venus surtout de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan et d’Érythrée l’a fait monter à 1 337 000 en 2016. Il recule légè­re­ment à 1 243 000 en 2017, avant de chuter en 2018 (310 000 demandes au premier semestre). L’Union multi­plie désor­mais les obstacles pour empê­cher les nouveaux candi­dats de venir physi­que­ment déposer leur demande.

La France au 16e rang de l’accueil

En neutra­li­sant les effets de taille et de richesse, la statis­tique per capita des protec­tions accor­dées aux deman­deurs d’asile contribue à dégager la compo­sante poli­tique de la « capa­cité d’accueil » de chaque pays. Elle dissipe la vision commune d’un afflux massif de deman­deurs en France et au Royaume-Uni. Dans ce clas­se­ment, la France se situe au 16e rang des pays euro­péens compte tenu de sa popu­la­tion, au 15e si l’on tient égale­ment compte de son PIB. Le Royaume-Uni se situe respec­ti­ve­ment aux 19e et 17e rangs. Les pays ancien­ne­ment commu­nistes ferment la marche : ils ne se sont jamais fami­lia­risés avec la migra­tion de travail non euro­péenne depuis la guerre, et ils ne se sont jamais fami­lia­risés avec la migra­tion de travail non euro­péenne depuis la guerre, et n’ont pas davan­tage d’an­ciennes colo­nies qui leur enver­raient des migrants.

Le clas­se­ment chan­ge­rait-il si l’on incluait l’ensemble des deman­deurs, déboutés compris ? Très peu. La France remon­te­rait au 13e rang des pays euro­péens par le nombre relatif de deman­deurs : 2000 pour un million d’habitants — loin derrière la Suède (8 320), l’Allemagne (7 240) et l’Autriche (4 770).

Au total, dans les trois années 2015–2016-2017, les pays euro­péens ont traité pas moins de 3,3 millions de demandes d’asile, dont 47 % ont été reje­tées. Le taux de rejet varie forte­ment : 32 % aux Pays-Bas, 48 % en Alle­magne, 60 % en Italie, 62 % au Royaume-Uni, 84 % en Hongrie, 87 % en Pologne. Avec un taux de rejet de 75 %, la France compte parmi les pays les moins accueillants d’Europe, dépassée seule­ment par 5 pays sur 32. Cela tient en partie au fait que moins de 7% des demandes d’asile dépo­sées en France émanaient de Syriens, contre 33 % en Alle­magne — un écart lui-même lié à des poli­tiques d’accueil différentes.

[i] Une première version de ce graphique a été publiée sépa­ré­ment pour la seule année 2016 dans la leçon inau­gu­rale de Fran­çois Héran au Collège de France (Migra­tions et sociétés, Fayard, 2018, p. 64). La version publiée ici innove de deux façons : elle livre pour la première fois une synthèse sur les trois années 2015–2016-2017 et elle complète le tout avec la prise en compte de la richesse nationale.

Auteur

Fran­çois Héran est profes­seur au Collège de France et direc­teur de l’Ins­titut Conver­gences Migrations.

Pour citer cet article

Fran­çois Héran, « Comment l’Europe accueille – ou non – les deman­deurs d’asile depuis 2015 », Dossier « Orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales et mobi­lités », De facto [En ligne], 2 | décembre 2018, mis en ligne le 10 décembre 2018. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2018/12/04/defacto‑2–003/

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