Quand la fermeture des frontières empêche les migrants africains de rentrer au pays

Marie-Laurence Flahaux, démographe 

Crédits : SebDech, Aéroport international de Djerba. Départs prochains d’avions vers le Bangladesh et l’Afrique de l’Ouest, organisés par l’IOM, 2011, Image sous Creative Common Licence

Marie-Laurence Flahaux, démographe à l’IRD, a travaillé sur les enquêtes biographiques MAFE sur les migrants de retour.

En Europe, quand on parle de migra­tions afri­caines, on fait souvent réfé­rence aux arri­vées de migrants, moins au fait qu’ils pour­raient rentrer volon­tai­re­ment dans leur pays d’origine. Ces hommes et femmes sont la plupart du temps asso­ciés à des indi­vidus fuyant la misère et la guerre, recher­chant des condi­tions de vie meilleures et n’ayant aucune inten­tion de retourner d’où ils viennent. Quand les déci­deurs poli­tiques euro­péens parlent de “retour”, ils font réfé­rence aux expul­sions de migrants en situa­tion irré­gu­lière ou aux programmes inci­tant à un retour défi­nitif, avec l’idée de décou­rager toute migra­tion à venir.

Tout cela laisse croire que la plupart des migrants afri­cains voudraient s’établir défi­ni­ti­ve­ment en Europe et qu’aucun ne souhai­te­rait rentrer au pays, à moins d’y être contraint. Pour­tant, l’éventualité d’un retour est toujours présente et fait partie de la stra­tégie de mobi­lité de tout migrant. La migra­tion est une circu­la­tion et non un aller simple dans un sens ou dans l’autre. Le plus souvent, c’est le migrant qui décide de se mettre en mouvement.

Les enquêtes Migra­tions entre l’Afrique et l’Europe (MAFE[1]), menées à la fin des années 2000, ont montré que, à leur arrivée en Europe, de nombreux migrants envi­sa­geaient seule­ment une migra­tion tempo­raire et avaient l’in­ten­tion de repartir. Ainsi, la moitié des migrants séné­ga­lais et congo­lais arrivés en Europe entre 1960 et 2009 proje­taient de rentrer dans leur pays d’origine. Les retours effec­tifs vers l’Afrique ont été nombreux. Après dix ans, 20% des Séné­ga­lais et 40% des Congo­lais qui avaient migré en Europe avaient effectué un retour au pays d’une durée d’un an ou plus, ou y étaient revenus tempo­rai­re­ment avec l’intention de s’y installer.

En fait, la grande majo­rité des retours sont décidés spon­ta­né­ment ou volon­tai­re­ment par les migrants eux-mêmes. Ils ne rentrent pas parce qu’ils y ont été forcés ou encou­ragés par les auto­rités du pays d’accueil. Seuls 11% des Séné­ga­lais et 3% des Congo­lais ayant effectué un retour l’imputent à l’absence de titre de séjour régu­lier en Europe. Les programmes d’aide au retour « volon­taire » (bien que ce choix résulte plutôt de contraintes) ne dissuadent pas de revenir en Europe. Les migrants circulent et les retours peuvent donner lieu à de nouvelles migra­tions si l’installation n’a été ni voulue ni préparée. C’est le cas, par exemple, de ceux dont le séjour en Europe a été trop court pour qu’ils puissent acquérir suffi­sam­ment de ressources pour réussir leur réins­tal­la­tion réussie au pays d’origine. La part des Séné­ga­lais de retour qui repartent en Europe est impres­sion­nante : au bout de 10 ans, un peu moins de la moitié sont repartis pour l’Europe.

Les migrants sont bien plus suscep­tibles de rentrer dans leur pays et d’y rester lors­qu’ils ont eux-mêmes préparé leur retour. Si on connaît mal la réalité statis­tique des retours décidés et mis en œuvre par les migrants dans le monde (rares sont les pays d’origine et de desti­na­tion à enre­gis­trer les migra­tions de retour), on cerne mieux les moti­va­tions de retour des migrants afri­cains depuis les enquêtes biogra­phiques MAFE. Parti­cu­liè­re­ment riches, ces enquêtes ont collecté des infor­ma­tions sur les parcours de vie des migrants, notam­ment sur leur trajec­toire migra­toire, leur vie fami­liale et profes­sion­nelle et leur expé­rience admi­nis­tra­tive en Europe et en Afrique.

Les enquêtes MAFE montrent enfin que les poli­tiques restrei­gnant l’accès des migrants à l’Eu­rope, même si elles sont accom­pa­gnées de programmes d’aide au retour “volon­taire”, ont un effet négatif sur les retours. Plus il est diffi­cile de migrer vers l’Eu­rope, moins les migrants retournent dans leur pays d’origine. Ils anti­cipent les diffi­cultés de réin­ser­tion dans un pays qu’ils ont parfois quitté depuis long­temps. Quand la situa­tion du pays d’origine est instable et les condi­tions de vie diffi­ciles, comme c’est le cas pour les Congo­lais partis après la crise de 1990, les migrants qui rentrent au pays le font le plus souvent à condi­tion d’avoir l’assurance de pouvoir repartir.

Les restric­tions à l’im­mi­gra­tion inter­rompent cette circu­la­tion et décou­ragent les retours en pous­sant les migrants à s’installer défi­ni­ti­ve­ment en Europe. Un para­doxe sur lequel les déci­deurs pour­raient méditer…


Notes

[1] Enquêtes réali­sées en 2008 et 2009 dans plusieurs pays d’Europe et d’Afrique : France, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Belgique, Espagne, Sénégal, Ghana et Répu­blique Démo­cra­tique du Congo. Voir le site du projet : https://​mafe​pro​ject​.site​.ined​.fr/fr/


Liste des références

Marie-Laurence Flahaux, « Retourner au Sénégal et en RD Congo. Choix et contraintes au cœur des trajec­toires de vie des migrants », Thèse de doctorat en Sciences poli­tiques et sociales (démo­gra­phie), Univer­sité catho­lique de Louvain, 2013. URL : https://​dial​.uclou​vain​.be/​p​r​/​b​o​r​e​a​l​/​o​b​j​e​c​t​/​b​o​r​e​a​l​:​1​3​7​6​7​5​/​d​a​t​a​s​t​r​e​a​m​/​P​D​F​_​0​1/view

Marie-Laurence Flahaux, Cris Beau­chemin, Bruno Schou­maker, « De l’Europe vers l’Afrique : Les migra­tions de retour au Sénégal et en RDC », Popu­la­tion et Sociétés, n° 515, octobre 2014. URL : https://​www​.ined​.fr/​f​i​c​h​i​e​r​/​s​_​r​u​b​r​i​q​u​e​/​2​2​0​7​4​/​p​o​p​u​l​a​t​i​o​n​.​s​o​c​i​e​t​e​s​.​2​0​1​4​.​5​1​5​.​e​u​r​o​p​e​.​a​f​r​i​q​u​e​.​m​i​g​r​a​t​i​o​n​s​.​fr.pdf

Marie-Laurence Flahaux, « Inten­tion et réali­sa­tion de migra­tion de retour au Sénégal et en Répu­blique démo­cra­tique du Congo », Popu­la­tion, vol. 70, n° 1, 2015. URL : https://www.cairn.info/revue-population-2015–1‑page-103.htm

Marie-Laurence Flahaux, « The Role of Migra­tion Policy Changes in Europe for Return Migra­tion to Senegal », Inter­na­tional Migra­tion Review, vol. 51, n° 14, Hiver 2017. URL : https://​onli​ne​li​brary​.wiley​.com/​d​o​i​/​1​0​.​1​1​1​1​/​i​m​r​e​.12248

Auteur

Marie-Laurence Flahaux est chargée de recherche à l’Institut de recherche pour le déve­lop­pe­ment (IRD), Labo­ra­toire Popu­la­tion Envi­ron­ne­ment Déve­lop­pe­ment (LPED), Aix-Marseille Univer­sité. Elle est fellow de l’Institut Conver­gences Migrations.

Pour citer cet article

Marie-Laurence Flahaux, « Quand la ferme­ture des fron­tières empêche les migrants afri­cains de rentrer au pays », Dossier « Migra­tions afri­caines : le défi du retour », De facto [En ligne], 1 | novembre 2018, mis en ligne le 14 novembre 2018. URL : https://​www​.icmi​gra​tions​.cnrs​.fr/​2​0​1​8​/​1​1​/​0​9​/0002/

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